“L’ADDICTION VISE À SE PASSER DE L’AUTRE”
Le psychanalyste Roland Gori s’est intéressé aux conséquences de la crise que nous traversons sur les relations humaines. Parmi elles, une explosion des conduites addictives. Il nous explique ce phénomène.
Psychologies : Pourquoi la crise du Covid, le confinement et les conséquences économiques de la maladie nous mettent-ils sous pression ?
R.G. : Avec cette pandémie, les pays européens et américains sont soumis à beaucoup de stress. Qu’est-ce que le stress ? Une réaction à la pression de l’environnement qui conduit à éprouver ce que Freud nomme l’Hilflosigkeit, cet état de grande détresse, d’extrême vulnérabilité du tout petit enfant. Nous nous sommes retrouvés démunis face au virus, dans une situation qui a réactivé cet état de vulnérabilité. Qu’on prenne le problème du point de vue biologique, psychologique ou social, le stress est la conséquence du lien entre un choc environnemental qui surgit et la capacité de résistance de celui qui le subit. Hans Selye1, médecin québécois à l’origine du
concept de stress, a montré qu’il est le fruit des possibilités de l’organisme à se défendre des agressions extérieures. La psychanalyse a étendu ce principe d’interaction entre l’organisme et l’environnement en montrant le rôle des représentations psychiques dans l’élaboration des traumas (étymologiquement « blessures » infligées aux individus). S’il est préparé, il peut assumer. S’il ne l’est pas, le choc peut provoquer sidération, puis effraction psychique. Une citation du philosophe Michel Foucault éclaire les choses : « Les épidémies pulvérisent nos rêves collectifs de maîtrise absolue », écrit-il2. Psychologiquement parlant, nous traversons actuellement un traumatisme collectif dû non seulement à une modification de notre situation sanitaire et sociale, mais surtout à notre impréparation à accueillir et à traiter l’émergence de la pandémie. Ce qui constitue véritablement le traumatisme et conduit à ce qu’on appelle le stress post-traumatique résulte de la réaction – ou plutôt de l’impossibilité de réagir – de l’organisme, individuel ou collectif, aux chocs environnementaux. L’apparition du traumatisme dépend de la réalité du choc physique et de son intensité, ainsi que de l’état de préparation de l’organisme à le recevoir. Le traumatisme provient de cette rencontre entre un événement qui surgit inopinément, qui surprend, et la capacité de l’organisme, biologique, psychique ou social, à s’y préparer. Ce qui explique l’effet papillon : un choc minime mais inattendu peut produire des troubles psychiques bien plus importants qu’un autre de plus grande intensité.
Comment le stress post-traumatique se manifeste-t-il ?
R.G. : Par toutes sortes de symptômes que l’on trouve classiquement dans la clinique du traumatisme : irritabilité anxieuse et agressivité, troubles du sommeil liés à une hypervigilance, dépressions et épuisements, somatisations, cauchemars avec terreurs nocturnes, sentiment que l’on ne s’en sortira plus ou, à l’inverse, le déni du danger avec l’adoption de comportements à risques (sorties, dîners, réflexions du type « c’est une grippette, personne ne m’empêchera de faire quoi que ce soit ») dans une sorte d’attitude compulsive maniaque face au danger, par des sentiments d’extrême solitude, d’un avenir bouché,