Psychologies (France)

VIVRE AVEC UNE PERSONNE MYTHOMANE

Ils en lent les mensonges comme d autres les perles. Leur vie est un roman mais ils peuvent faire de la vôtre un enfer. Lisa Letessier, psychologu­e clinicienn­e, fait la lumière sur ces personnali­tés fâchées avec la vérité.

- PAR AURORE AIMELET

QU EST CE QUI SE PASSE ?

C’est une évidence : le mensonge est humain. « Plusieurs raisons légitimes poussent l’individu à cacher tout ou partie de la vérité, estime Lisa Letessier. Très souvent, c’est pour éviter le conflit ( le jugement, la punition) et protéger le lien; ou pour dissimuler ses faiblesses, ses erreurs et préserver son image. » La di‚érence entre les menteurs et les mythomanes? Le côté pathologiq­ue car chronique, même si la mythomanie en tant que telle est exclue des classifica­tions internatio­nales. « Elle n’est pas considérée comme une psychopath­ologie, c’est un symptôme que l’on retrouve dans d’autres troubles : perversion, manipulati­on, addictions, manque d’estime de soi. » Ce mécanisme de défense, de la relation ou du moi, peut s’installer « dès l’âge de 4 ou 5 ans. Les enfants tentent un coup de poker, parfois sans véritable intention, puisque la frontière entre le vrai et le faux est encore floue. L’attitude de leur entourage sera déterminan­te : s’ils sont punis alors qu’ils avouent une bêtise, ils intégreron­t vite qu’il y a plus de bénéfices à mentir ».

POURQUOI C EST DIFFICILE

Si la tromperie fait perdre son calme et son latin, c’est avant tout parce qu’elle brise la confiance. « Toute relation a‚ective ou sociale s’appuie sur un lien de confiance, confirme la psychologu­e. On doit pouvoir compter sur son entourage, croire en sa parole, se fier à ses actes. Les mythomanes créent un climat d’instabilit­é permanente. » Parce qu’on ne sait jamais s’ils disent vrai ou faux, on perd ses repères. Autre conséquenc­e douloureus­e : l’hypervigil­ance dont on fait souvent preuve à son détriment. « On doute, on vérifie, on les épie, on les questionne. La possibilit­é d’être dupé devient obsédante, on a l’impression de devenir paranoïaqu­e. » Dernier point : le sens de ces falsificat­ions est obscur, parfois absurde, surtout quand les menteurs travestiss­ent la réalité pour des broutilles. « Le cerveau humain est câblé pour dire la vérité puisque la cacher sollicite des structures cérébrales complexes et coûteuses en termes d’e‚orts cognitifs. Mais à force de mentir, il s’habitue au processus et a de plus en plus recours au mensonge de façon automatiqu­e. » Les mythomanes ne se contentent plus de dissimuler pour obtenir ou se protéger de quelque chose, mais simplement par réflexe, pour tout et n’importe quoi.

CE QUE L ON PEUT DIRE ET FAIRE

Chercher à confondre les usurpateur­s n’est pas toujours une bonne idée. « S’ils se sentent acculés, ils peuvent réagir très violemment, rompre ou devenir agressif. On se souvient de Jean- Claude Romand qui, enfermé dans ses mensonges et sur le point d’être découvert, a préféré éliminer les siens plutôt qu’assumer une vie de leurres. Cependant, d’autres peuvent se sentir soulagés que leur sou ‚ rance soit enfin révélée, pour pouvoir en guérir. » Voilà pourquoi on gagnerait d’abord à clarifier la situation. « Quelle est l’intentionn­alité des tromperies? Elle di‚ère en fonction de la personnali­té des mythomanes et éventuelle­ment de leur pathologie : un pervers narcissiqu­e ment pour détruire, un manipulate­ur pour arriver à ses fins, une personne dépendante pour satisfaire son

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désir de consommati­on, un individu en mal d’estime de soi pour se renarcissi­ser. » Comprendre ce qui est à l’origine de la supercheri­e permettra de réagir à bon escient.

COMMENT PRENDRE SOIN DE LA RELATION

Pour avancer, il faut aussi s’interroger soi, car la tendance au mensonge peut être nourrie par un problème relationne­l. « Il s’agit d’identifier ses propres réactions, conseille Lisa Letessier. Si, chaque fois que les menteurs commettent ce que l’on estime être un impair, on les condamne, rejette, gronde ou moralise, alors on ne les incite pas à assumer leurs actes. » Ils continuero­nt de penser qu’il est plus économique de mentir pour tenter de s’en sortir indemnes, plutôt que faire amende honorable et se voir rabrouer à coup sûr. Lorsque la mythomanie relève d’une difficulté propre aux individus malhonnête­s, mieux vaut, soi, être honnête : est-on en mesure de supporter leurs fourberies toute la vie†? Si ce n’est pas le cas, peut-être devra-t-on s’éloigner. En revanche, si on se sent capable de les accompagne­r, alors on tâchera de les amener avec douceur et sans pression vers une prise de conscience. « Il sera nécessaire pour eux de travailler individuel­lement l’origine de leur besoin de dominer, de consommer ou de pallier une mauvaise image de soi. Et, en parallèle, de comprendre leur besoin de falsifier les informatio­ns. Celui-ci s’est très probableme­nt construit dans le passé, dans l’enfance, dans l’histoire familiale, après des expérience­s marquantes où ils ont dû sauver leur peau. » Et, à cette fin, cacher la vérité.

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