Psychologies (France)

« J’ai peur du chamboulem­ent qui m’attend »

Face au psychiatre et psychanaly­ste Robert Neuburger, un lecteur ou une lectrice s’interroge sur la nécessité de suivre une psychothér­apie. Ce mois-ci : Sophie, 40 ans.

- Propos recueillis et résumés par Aude Mérieux Photos Bruno Levy

Je vis une période difficile dans ma vie de femme. J’ai besoin d’être aiguillée car je suis totalement perdue, avoue Sophie. Cela fait quinze ans que je suis en couple avec un homme, et deux ans que j’ai une liaison, même si cela semble fini… La culpabilit­é a fait que j’ai avoué cette liaison à mon conjoint il y a quelques mois. — Ne s’en doutait-il pas ? lui demande Robert Neuburger. — Non. Il a vu que je me renfermais et m’éloignais, mais sans comprendre pourquoi. Il y a un an, je lui avais dit que je n’étais pas sûre de l’aimer encore, mais nous en étions restés là. Quand je lui ai appris que j’avais cette liaison et qu’entre nous c’était fini, j’ai éprouvé un grand soulagemen­t à cesser de mentir. Mais du côté de mon amant, c’est compliqué. D’une part il est marié et m’a toujours dit qu’il ne quitterait pas sa femme à cause des enfants, d’autre part c’est un collègue de bureau que je vois sans cesse. Chaque fois, on dit qu’on va arrêter puisque cette histoire ne mène nulle part, puis on se revoit et ça recommence… — Vivez-vous toujours avec votre conjoint ? — Oui, et avec nos trois enfants, qui sont encore petits. Lorsque nous avons décidé de nous séparer, nous avons choisi d’attendre la fin de l’année scolaire pour le faire et pour le leur annoncer. Aujourd’hui, je m’y sens prête, même si c’est difficile. — Avez-vous pu mener une vie sexuelle des deux côtés pendant ces deux années ? — Au début, mais ça n’a pas duré. Mon conjoint ne m’attirait plus. C’était à l’autre que j’avais envie de donner de l’amour, et je l’ai toujours dans la tête alors qu’en principe c’est fini. Depuis que je lui ai dit que j’allais me séparer, il freine encore davantage. Il a pris peur, je pense. — La fin de l’année scolaire approche. Êtes-vous toujours partante pour vous séparer de votre compagnon ? — Oui, j’ai fait les démarches pour racheter sa part de la maison, et nous sommes d’accord pour avoir les enfants en alternance une semaine sur deux. Aujourd’hui, la communicat­ion est meilleure puisque je ne mens plus, mais il y a moins de complicité, et je me rends compte que nous évoluons vers la séparation. Il m’a dit que cela le rendait très malheureux, mais qu’il ne pourrait pas continuer avec moi parce qu’il n’arriverait jamais à me pardonner, à avoir confiance en moi. — Ne vous a-t-il jamais trompée ? — Il dit que non. J’ai essayé de lui expliquer que c’était des choses qui pouvaient arriver sans qu’on les veuille. Je ne cherchais nullement une aventure. Ça m’est tombé dessus. Je suis tombée très amoureuse sans m’y attendre du tout, et c’est pareil pour mon amant. Le fait qu’on ne puisse envisager un avenir ensemble, c’est très dur. Il m’a dit que dans son couple

ça se passait mal depuis longtemps, mais il est enfant de divorcés et ne veut pas infliger cela aux siens. — Vous savez, quand on tombe amoureux c’est qu’on est disponible. Peut-être que votre vie de couple, depuis un moment, était moins passionnan­te ? — Tout à fait, et c’est ce que mon conjoint ne comprend pas. Pour lui, j’avais tout pour être heureuse. Mais la vie à la maison, la vie de mère, la vie profession­nelle, ça ne suffit pas… Notre vie de couple était tranquille. Trop. Et justement, quand j’ai rencontré cet autre homme, on s’est dit tous les deux que c’était flatteur d’avoir quelqu’un qui s’intéressai­t à vous. — Au fond, vous n’avez rien vu venir. Vous avez vécu pendant quelques années quelque chose d’assez frustrant, sans le réaliser vraiment. Vous n’arriviez pas à vous le dire puisqu’il y avait le discours de votre mari : on a tout pour être heureux. Et cela faisait contraste avec ce que vous viviez. C’est cela le problème. Vous avez été surprise de tomber amoureuse, alors qu’en réalité c’était “programmé”. Si vous aviez pu exprimer clairement et plus tôt que vous n’étiez pas heureuse en tant que femme, il y aurait eu une possibilit­é que votre conjoint se réveille. — Voilà ! Je ne me posais pas la question de savoir si j’étais heureuse ou pas. Je me voilais la face. — Et c’est compréhens­ible. Il y a les enfants, la vie quotidienn­e, et il est vrai que d’une certaine manière “tout va bien”. Sinon qu’il manque l’essentiel, c’est-à-dire la flamme. — Il passait ses soirées devant son ordinateur, à la maison certes, mais toujours occupé à autre chose. En plus, nous avons peu d’amis. J’aurais voulu plus d’ouverture sur l’extérieur, alors que lui se satisfaisa­it de cette vie. — Je comprends. Donc maintenant, le chemin est tracé, vous allez vous séparer et vous retrouver seule avec les enfants. Au fond, votre situation est clarifiée. — Sauf que je n’arrive pas à lâcher mon amant. Je lui cours toujours après… — C’est un peu normal. Vous n’êtes pas ce qu’on peut appeler “une femme légère”. Cela ne vous arrive pas tous les jours de tomber amoureuse. Donc, forcément, pour vous, c’est important et investi. Mais pour le moment, malheureus­ement, ça vous échappe. Il n’y a que lui qui peut décider. Avez-vous pensé qu’il reviendrai­t lorsque vous seriez totalement disponible ? — Non. Un coup il me rejette, un coup il m’accepte. J’ai l’impression que nous passons notre temps à faire un pas en avant, un pas en arrière. — Vous retrouver seule une semaine sur deux, cela va être nouveau pour vous. Vous ne savez pas encore comment vous allez réagir. Mais c’est l’intérêt de la chose, aussi… Avez-vous vos parents, une fratrie ? — J’ai une mère bipolaire, dont j’ai toujours été la “mère”, dès mon plus jeune âge. Je suis obligée de gérer ses comptes, sinon ce serait la débâcle. Cela me pèse énormément.

“Pour mon conjoint, j’avais tout pour être heureuse. Mais la vie à la maison, la vie de mère, ça ne suffit pas…” Sophie

“Vous vous retrouvez toujours dans une situation où ‘on n’y peut plus rien’. J’aimerais que vous puissiez anticiper les choses” Robert Neuburger

Heureuseme­nt qu’elle vit loin. J’ai eu un père dépressif, qui s’est suicidé quand j’avais 16 ans, et une soeur morte il y a huit ans dans un accident de la route. C’est pourquoi maintenant, si je suis heureuse avec quelqu’un, je veux profiter de la vie, ne pas me l’interdire ! C’est ce que je dis à mon amant, qui a eu lui aussi une enfance difficile, mais j’ai eu le tort de l’avertir de ma séparation. Maintenant c’est fait, et il y a hélas des choses sur lesquelles on ne peut pas revenir… — Vous savez, j’ai l’impression qu’au fond vous avez toujours “un temps de retard”. Pour réaliser que vous étiez en état de frustratio­n, il vous a fallu tomber amoureuse. Puis vous apprenez à votre amant votre décision de rompre avec votre conjoint, sans réaliser l’effet que cela aura. C’est un problème, parce que vous vous mettez chaque fois dans une situation qui ne permet pas le retour en arrière. L’idée de ces entretiens, c’est de savoir si une psychothér­apie serait utile ou non. Dans votre cas, je pense que oui, mais pas pour vous soutenir dans votre nouveau mode de vie, plutôt pour accepter de ressentir ce que vous ressentez. J’ai l’impression que vous vous retrouvez toujours dans une situation où “on n’y peut plus rien”. J’aimerais pour vous que vous puissiez un peu anticiper les choses. — Oui, c’est vrai que je ne me suis jamais vraiment autorisée… —… à ressentir ce que vous ressentiez. Et c’est lié peut-être à votre histoire. Quand vous dites que vous étiez la mère de votre mère, cela signifie quelqu’un d’hyper responsabl­e, d’hyper autonome, qui “ne s’écoute pas” parce que la vie est trop difficile. Mais si c’était valable quand vous étiez jeune et qu’il fallait vous battre, aujourd’hui, cela n’a plus lieu d’être. Peut-être faut-il commencer à fonctionne­r autrement, en apprenant à vous relier à vous-même. Vous n’êtes pas obligée de subir. Il faut vous écouter. »

Pour des raisons de confidenti­alité, le prénom et certaines informatio­ns personnell­es ont été modifiés. Robert Neuburger est l’auteur, entre autres, des Familles qui ont la tête à l’envers, revivre après un traumatism­e familial (Odile Jacob).

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