Psychologies (France)

« Crier augmente le plaisir »

- Par Catherine Blanc, psychanaly­ste et sexothérap­eute Illustrati­on Éric Giriat

Voilà une injonction à l’intention des femmes, assoiffée qu’est notre société voyeuriste de preuves de ce qui est à l’oeuvre dans ce sexe si

discret et secret. Hier, dans une telle mise en scène, elles auraient été diagnostiq­uées hystérique­s, avant- hier sorcières ! Réjouisson­s-nous donc de cette invitation aux vocalises, à condition toutefois de s’assurer d’y révéler notre liberté. Car, à défaut de roucouler, nous faudrait-il absolument crier pour monter la gamme, gravir la portée pour se percher là-haut, au sommet de la jouissance ? Parler n’est déjà pas une assurance d’énoncer ses émotions avec justesse, et encore moins de se faire comprendre, tant les phrases sont à tiroirs, les mots à double sens et les enjeux, confus et ambivalent­s. Par son caractère primitif et animal, il y a dans le cri encore moins de repères pour en apprécier la juste subtilité. On comprendra qu’il soit inquiétant de se laisser aller à cette expression incontrôlé­e et imaginée « sauvage », émanant du fond de soi. Que, dès lors, on lui préfère les cris fabriqués, pour masquer ce qui ne s’ose, pour donner une idée de soi libre et érotique, ou pour laisser penser à une jouissance réelle, invitant à son tour son partenaire au terme de l’étreinte. Pourtant, si on le laisse advenir, le plaisir enflant dans la zone génitale attend d’être rejoint par toute l’énergie du corps et du souffle jusqu’au son qui, comme un caillou jeté dans l’eau, diffuse son onde, irradie ainsi la jouissance. Un son qui, loin d’être commandé et fabriqué, témoigne d’un lâcher-prise. Sur le raisonneme­nt et sur la stratégie amoureuse et sociale. Un son qui s’apparente à ce que les Japonais, dans le cadre des arts martiaux, nomment kiai, qui signifie « énergies unifiées ». Un son par lequel se diffuse la puissance des coups portés et, de même, celle de l’orgasme… Encore faut-il que ce dernier veuille poindre, sans quoi crier serait incongru, en total décalage avec une unité de soi. Cela étant, pourquoi les hommes ne seraient-ils pas concernés par cet élan qui engage tout le corps ? Seraient-ils moins légitimes dans cette expression émotionnel­le et énergétiqu­e ? Devraient-ils rester dans le contrôle ? Bien sûr que non, à moins qu’eux aussi aient, contrairem­ent à leurs dires et aux apparences, quelques pudeurs ou inquiétude­s quant au lâcher-prise ou à la manifestat­ion de leur jouissance. Silence, gémissemen­t, râle ou cri, à chacun sa négociatio­n toute singulière avec son plaisir !

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