FATMA BOUVET DE LA MAISONNEUVE
En grande pompe
LLes femmes du XXIe siècle ne m’épargnent aucune sur
prise, qu’elles aient 17 ou 87 ans. Voici Maryse, la soixantaine, mariée, un métier à responsabilités. Outre le problème pour lequel je la vois, elle vit un conflit avec sa fille, qui veut se marier en grande pompe : la mairie, puis l’église, le tout suivi d’une soirée. Faute de moyens, la jeune femme exige de ses parents le financement d’une partie conséquente de la cérémonie. Maryse est sidérée : elle a élevé sa fille dans un esprit qui privilégiait l’authenticité du lien amoureux sur la quête d’une quelconque approbation sociale. Maryse et son mari sont athées, ils se sont mariés à la mairie et, en guise de repas de noce, ils sont simplement allés dans une pizzeria avec leurs témoins. Elle est déçue de découvrir, dans le projet de sa fille, l’échec de leur éducation libertaire, qui valorisait l’émancipation des femmes vis-à-vis des conventions. Puis les parents ont cédé au chantage affectif de leur fille et accepté de payer « ces artifices » qui coûtent cher. « Elle nous dit que ce sera le plus beau jour de sa vie », me rapporte Maryse, levant
les yeux au ciel. Les voilà donc embarqués pour une année de préparatifs : enterrement de vie de jeune fille, tenues des demoiselles d’honneur, choix du château, robe de mariée sur mesure avec le voile ( pour Maryse, c’est le pompon !) et deux cents invités au moins, « parce qu’il ne faut fâcher personne ». Une autre patiente, Léa, 23 ans, se plaint d’une mère « castratrice ». Elle ne veut surtout pas reproduire le modèle de celle qu’elle accuse d’avoir négligé sa famille
au profit de sa carrière. Léa a rencontré l’amour de sa vie, qui sera, elle en est convaincue, le père de ses enfants. Elle a eu quelques flirts avant lui, mais sans suite. Léa dénonce vigoureusement la banalisation de la sexualité dans sa famille, qu’elle qualifie de soixante-huitarde, comme dans la société. D’ailleurs, elle « ne donnera » sa virginité qu’à l’homme de sa vie, tant par conviction que par romantisme. Rien de religieux, juge-t- elle utile de préciser pour revendiquer sa liberté de choix. Léa attend avec anxiété la demande en mariage. Toutes les mises en scène rapportées par ses amies lui donnent le tournis : l’un monte sur une dune pour crier son amour, l’autre fait sa demande à genoux devant le Colisée de Rome, l’autre encore, lors de l’anniversaire d’un copain, clame sa flamme au micro face à une centaine de personnes… Et elle, à quelle surprise aura-t-elle droit ? Et comment sera la bague, la choisiront-ils ensemble ? Léa ne peut pas partager ses interrogations avec ses parents, totalement étrangers à toutes ces considérations. C’est à moi qu’elle fait part de son impatience, moi qui ai en mémoire les mots de Maryse, qui aurait pu être sa mère. Dans le vaste océan de l’émancipation, il persiste quelques courants conservateurs qui peuvent surprendre les plus âgés d’entre nous. « Quel retour en arrière ! » s’insurge Maryse. Certes, les personnes sont libres de s’unir comme elles le souhaitent, mais je pense que la marchandisation des mariages n’est pas tout à fait étrangère à cette mode, qui saisit les trentenaires et révulse leurs mères. Le féminisme serait-il soluble dans les salons du mariage ?