Psychologies (France)

J’en ai assez de tout organiser

- Par Christine Lamiable Illustrati­on Éric Giriat 1. Auteure de Marche où la vie t’ensoleille ( Eyrolles).

HIVER COMME ÉTÉ, AU TRAVAIL OU EN VACANCES, NADIA, 45 ANS, chargée de mission RH, a l’habitude de tout organiser. « J’agis avant tout le monde car j’ai mon opinion sur la manière dont un projet doit être mené et parce que j’aime que ça aille vite. Sinon, ça m’agace. C’est très confortabl­e pour mes collègues ! Mais mon attitude a eu une influence négative sur mon mari et ma fille. À présent, j’ai beau leur demander d’en faire plus par eux-mêmes, ils me demandent sans cesse comment agir. »

Je manque de confiance. « Le besoin de contrôle qu’exprime celui qui organise tout et à l’excès prend sa source dans un manque de confiance à l’égard de la vie, de soi et des autres, explique Odile Chabrillac, psychothér­apeute analytique. L’existence est perçue comme pleine de mauvaises surprises auxquelles l’entourage n’est pas capable de faire face et que l’on redoute soi-même. » Tout prévoir en amont semble alors le meilleur moyen de se rassurer pour celui qui, en outre, vit avec l’illusion qu’il sait ce qui est bon pour lui et pour les autres. « C’est particuliè­rement frappant avec les enfants, qui sont un tel prolongeme­nt de nous-mêmes que l’on en oublie parfois leur différence, remarque Odile Chabrillac. On croit faire leur bonheur en planifiant tout pour eux, alors qu’on les rend dépendants. »

Je ne suis pas à la bonne place. On n’endosse évidemment pas par hasard ce rôle. Juliette Allais1, psychanaly­ste transgénér­ationnelle, y voit la résurgence d’une place plus ancienne. « Dans certaines familles, il arrive que l’enfant soit “parentifié”, de manière transitoir­e ou permanente, rappelle-t- elle. Il est mis trop tôt en situation d’organiser, de prendre en charge, et endosse alors un rôle qui n’est pas vraiment le sien. Il existe également des familles sans règles. Mettre de l’ordre dans ce chaos permet alors à l’enfant de contenir son angoisse. » Juliette Allais estime également que la tendance de certaines femmes à tout gérer est la marque d’une famille où le père a été défaillant ou déconsidér­é par la mère. « Elles ont grandi avec l’idée que l’homme ne sert pas à grand-chose et prennent donc tout en charge à sa place. C’est aussi, pour elles, une manière de prendre le pouvoir dans une relation et de continuer à dominer l’autre. » J’ai peur de ne pas être aimé. Si l’enfant devenu adulte continue d’organiser sa vie et celle de ses proches, c’est par loyauté familiale, souligne Odile Chabrillac : « Or, il est possible d’être loyal envers son groupe d’origine tout en étant autonome. Sauf si on a l’impression d’être aimé pour ce que l’on fait et pas pour ce que l’on est. » Juliette Allais renchérit : « Lorsqu’une personne n’a pas été accueillie dans sa possibilit­é d’être vraiment enfant, elle doute du lien affectif qui l’unit aux autres. En ordonnant tout pour eux, elle assouvit le fantasme de se sentir importante à leurs yeux. » Mais le prix à payer reste élevé, la tension psychique et physique ainsi que l’insatisfac­tion l’emportant bien souvent sur le reste.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France