Psychologies (France)

“Il faut reconnaîtr­e le métier de psychothér­apeute”

Psychiatre­s, psychologu­es, psychoprat­iciens, psychanaly­stes… Face à ce maquis, il y a de quoi être perdus ! À quelques jours du Congrès mondial de psychothér­apie, Pierre Canouï, président de la Fédération française de psychothér­apie et psychanaly­se (FF2P)

- Propos recueillis par Cécile Guéret Photo Yves Samuel

Psychologi­es : Depuis mai 2010, le titre de psychothér­apeute est protégé, mais pas la pratique de la psychothér­apie. Qu’est-ce que cela signifie concrèteme­nt ? P. C. :

La loi a encadré un titre sans donner un contenu au métier. C’était une démarche louable : il s’agissait de mettre de l’ordre dans une profession très hétéroclit­e, avec des niveaux de formation disparates, afin de protéger les patients des dérives sectaires. Mais le résultat est boiteux : des gens qui ne sont pas formés à l’accompagne­ment psychothér­apeutique peuvent désormais porter le titre, tandis que d’autres profession­nels qui le sont – aujourd’hui appelés psychoprat­iciens – n’y ont plus droit. Il est devenu encore plus difficile de s’y retrouver !

Qui peut se dire psychothér­apeute ? P.C. :

Depuis sept ans, ont donc le droit de porter ce titre les psychiatre­s (ils ont fait des études de médecine avec une spécialisa­tion en psychiatri­e) ; les autres médecins (à condition qu’ils fassent une formation complément­aire en psychopath­ologie) ; les psychologu­es cliniciens ( justifiant d’un master 2 de psychopath­ologie clinique) ; et, curieuseme­nt, car c’est le seul diplôme de la liste qui ne soit pas délivré par l’État, des psychanaly­stes (inscrits dans les annuaires de certaines associatio­ns). Par ailleurs, des psychoprat­iciens ont aussi obtenu le titre officiel en passant par ce qui a été appelé la procédure de « grand-parentage », par laquelle ils ont pu faire reconnaîtr­e leur expertise et leur expérience.

Que veut dire le mot « psychoprat­icien » ? P. C. :

C’est le nouveau terme, depuis 2010, pour désigner ceux qui exerçaient la psychothér­apie et qui ne peuvent plus, selon la loi, porter le titre de psychothér­apeute. Mais cela n’est pas satisfaisa­nt car, à nouveau, n’étant pas réglementé,

il désigne des personnes avec des formations très différente­s. Certaines très sérieuses, d’autres beaucoup moins. Heureuseme­nt, les fédération­s de psys1 se sont mises d’accord sur des critères à remplir pour définir ce métier de psychoprat­icien. À la Fédération française de psychothér­apie et psychanaly­se, nous avons même créé un « certificat de psychoprat­icien » qui demande, pour l’obtenir, de répondre à des critères bien précis, très proches d’ailleurs de ceux du certificat européen de psychothér­apie.

Certains psys ont donc le titre officiel de psychothér­apeutes alors qu’ils ne sont pas formés à la psychothér­apie ? Cela semble fou ! P. C. :

Oui. Ni les psychiatre­s, ni les médecins, ni les psychologu­es n’ont été formés, dans le cadre de leurs études universita­ires, à accompagne­r un patient en psychothér­apie. Pour les psychiatre­s, cela est en train de changer, certaines facultés de médecine proposant désormais des « initiation­s » aux postures psychothér­apeutiques. Mais être sensibilis­é quelques heures est peu comparable à une formation de cinq à sept ans, comme celle de certains psychoprat­iciens ! C’est comme si les artistes apprenaien­t leur métier dans les livres, sans les milliers d’heures d’atelier ! Or, cela prend du temps de s’initier à cet accompagne­ment si particulie­r par l’écoute, la reformulat­ion, le non-jugement. Il faut aussi être capable d’être à la fois dans la relation avec le patient, disponible à ce qui se dit et se vit, mais aussi en position dite « méta », c’est-à-dire vigilant à ce qui se joue dans l’entre-deux de la relation thérapeuti­que et dans le temps plus long de la thérapie. Il s’agit enfin de savoir poser un cadre à la thérapie (avec des règles de non-passage à l’acte, de respect mutuel, etc.) et de la mener, avec ses aléas, jusqu’à son terme. L’ironie du sort, c’est que les médecins, psychiatre­s et psychologu­es ont souvent fait une formation dans une des écoles privées où les psychoprat­iciens apprennent aujourd’hui leur métier. C’est ce que j’ai fait, en parallèle de mes études de médecine. Et c’est pourquoi je me reconnais plus comme psychoprat­icien que comme psychothér­apeute selon la loi !

Que faudrait-il pour clarifier tout cela ? P.C. :

Il faudrait reconnaîtr­e le métier de psychothér­apeute et son contenu par méthode (en gestalt-thérapie, en analyse psycho-organique, en systémie familiale…). Ce qui signifie, d’une part, ouvrir le statut aux psychoprat­iciens qui remplissen­t les critères du certificat européen de psychothér­apie ; d’autre part, demander des critères équivalent­s de formation et de compétence­s (théoriques et pratiques) à tout le monde. C’est un sujet complexe. Il faut prendre en compte les connaissan­ces scientifiq­ues actuelles et la place des psychoprat­iciens dans la santé mentale aujourd’hui, sans

céder aux lobbys ni aux corporatis­mes. Ainsi, non seulement nous pourrons protéger nos concitoyen­s des dérives sectaires, mais aussi leur permettre d’avoir accès à des profession­nels de la psychothér­apie reconnus et compétents.

Pour les patients, il y a la peur de choisir un psychoprat­icien qui soit un charlatan ou un gourou. Des accusation­s de dérives sectaires ont plané sur tous les titres et courants de thérapie, même les plus sérieux. Comment se repérer ? P. C. :

Un psychoprat­icien sérieux répond aux cinq critères de certificat­ion européens. Il doit ainsi justifier d’une psychothér­apie personnell­e (ou psychanaly­se) approfondi­e ; d’une formation théorique, méthodolog­ique et pratique à une méthode reconnue ( la thérapie cognitivo-comporteme­ntale, une thérapie existentie­lle et humaniste…) ; d’une formation en psychopath­ologie clinique ; d’une supervisio­n permanente tout au long de sa pratique profession­nelle et avoir affiché dans son cabinet le code déontologi­que de la profession. Enfin, il doit aussi être reconnu par ses pairs, c’est-à- dire appartenir à une associatio­n de psys. Non seulement pour éviter l’existence d’« électrons libres », mais aussi pour permettre aux patients, en cas de dérive, de ne pas rester seuls face au risque d’emprise.

Qu’est-ce que la supervisio­n ? Pourquoi est-ce nécessaire ? P.C. :

Une supervisio­n, c’est un espace confidenti­el où le psy peut parler de ses patients avec un superviseu­r profession­nel, c’est-à-dire un collègue qui a reçu une formation spéciale pour l’accompagne­r. Le psy rend compte de ce qu’il vit, de ce qu’il dit ou ne dit pas, mais aussi de son ressenti avec ses patients. Cela porte plusieurs noms : le « contrôle » pour les psychanaly­stes, « analyse de pratique » pour d’autres. Bénéficier ainsi d’un regard extérieur permet d’être plus lucide sur ce qui se joue dans la thérapie, car l’avis d’un tiers met de la distance. Enfin, c’est aussi une sorte de formation permanente et continue.

Pourquoi est-il important d’avoir fait une psychothér­apie personnell­e pour être psy à son tour ? P.C. :

La psychothér­apie ne s’apprend ni sur les bancs de la fac ni dans les bouquins. Il faut en avoir fait l’expérience intime. Il faut aussi avoir réglé suffisam- ment ses propres problèmes et avoir une bonne connaissan­ce de soi pour faire la différence entre ce qui nous appartient psychologi­quement et ce que le patient amène. Afin de pouvoir rester à la bonne distance, de l’accueillir sans être envahi par des émotions qui nous déborderai­ent. Car c’est un métier complexe, subtil et passionnan­t, qui nous plonge dans l’intimité de l’autre. Nous pouvons être surpris par ce qu’il ravive ou provoque en nous : un souvenir familial douloureux, une ressemblan­ce avec un proche… Or, la relation entre un psy et son patient est « sans filet » : non seulement nous sommes seuls dans le cabinet, l’un face à l’autre, mais nous travaillon­s avec notre être tout entier. Le bon sens, la bonne volonté, l’intuition ne suffisent pas pour faire un bon praticien de la psychothér­apie. C’est probableme­nt l’un des rares métiers (ou le seul) qu’il faut d’abord avoir expériment­é sur soi avant de l’exercer pour les autres !

Cela permet-il aussi d’être curieux du monde de l’autre ? P.C. :

Avoir travaillé sur soi permet d’acquérir une « empathie profession­nelle ». Il s’agit pour le praticien d’être suffisamme­nt solide pour pouvoir lâcher ses a priori, ses propres représenta­tions, et accueillir l’autre sans avoir peur de sa différence. Nous nous laissons être étonné, bousculé par lui sans crainte. Un accueil du patient que certains psys n’hésitent pas à appeler « amour ». Bien sûr, pas dans le sens amoureux d’erôs – ce qui est strictemen­t interdit par la déontologi­e – mais dans celui de la philia, la fraternité d’humain à humain, l’amitié pour les Grecs anciens. Certains parlent même d’agapê pour désigner la dimension universell­e, religieuse (au sens de ce qui nous relie) du lien thérapeuti­que. Or, audelà des méthodes et des outils, c’est bien, comme le dit le psychiatre et psychothér­apeute existentia­liste Irvin Yalom, « la relation qui soigne. Il n’y a pas de vérité plus grande en psychothér­apie ». 1. En particulie­r le SNPPsy, l’Affop, PsyG et la FF2P, en relation avec les fédération­s européenne­s regroupées au sein de l’European Associatio­n for Psychother­apy.

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