Thérapies virtuelles contre maladies réelles
Phobie des hauteurs, addictions, troubles du comportement alimentaire… La thérapie par réalité virtuelle ( TRV) est efficace contre de nombreuses pathologies. Une méthode en plein essor qui permet de dépasser les souffrances de la “vraie vie”. Dans une c
J“e me demande bien ce qui va se passer. » Ravie et inquiète de se confronter à sa peur, Colette, 66 ans, ressemble à une enfant. Dans une salle vide de l’hôpital de la PitiéSalpêtrière, à Paris, elle vient tout juste d’être équipée d’une sorte de masque de ski à travers lequel elle voit des gratte-ciel. La psychiatre Fanny Levy a calé le Smartphone contenant l’appli contre l’acrophobie sur la visière de ce casque de réalité virtuelle. Elle va suivre l’aventure de sa patiente, terrorisée par les hauteurs, sur un écran d’ordinateur. « Regardez autour de vous. Quel temps fait-il ? Est-ce agréable ? » l’interroge-telle pour l’apaiser. « Il fait beau. Il y a des arbres », décrit Colette, qui, pour sa treizième séance avec l’appareil, reconnaît un décor familier. Évaluant à zéro sur dix son niveau d’anxiété, elle se dirige vers une tour en orientant son regard et, en appuyant sur le bouton d’un boîtier, elle entre et appelle l’ascenseur qui la conduit au vingt et unième étage. Après une première étape intimidante devant une baie vitrée, elle
rejoint une cage d’escalier pour tenter de jeter un coup d’oeil vers le bas. Elle qui, jusqu’ici, évitait ce genre d’endroit, avance ( pour de vrai aussi ! ) à petits pas de vieillard. Soudain, elle se fige. Elle halète et panique, incapable de dire si son anxiété est à 2 ou 5. « J’ai peur de l’angoisse qui va monter. J’ai les mains moites », dit- elle, la voix chevrotante. La psychiatre lui impose un exercice de respiration, puis s’empare du boîtier pour l’accompagner. Colette parvient à toucher la rambarde et à se pencher un peu. « Je vous sens près de moi, donc ça me rassure », confie-t-elle à sa thérapeute, avant de finir épuisée par ces vingt minutes d’exposition à sa phobie.
Impossible de tricher
« Ce n’est pas du cinéma ! Je souffre car je suis à fond dans l’ambiance », assure Colette. Pour le psychiatre Roland Jouvent, chef de service dans cet hôpital, « la thérapie par réalité virtuelle ( TRV) ne permet pas de tricher car elle sollicite les mécanismes corporels de la peur. Elle active des réflexes post-traumatiques archaïques, mis en place avant la pensée ». « Les études montrent que la simulation en 3D stimule les mêmes zones cérébrales que la réalité concrète, notamment celles relatives aux cinq sens, le lobe pariétal impliqué dans la proprioception et la zone frontale qui contrôle nos actes », précise Éric Malbos, psychiatre à l’hôpital de la Conception, à Marseille, et l’un des pionniers de la TRV en France.
Être immergé à trois cent soixante degrés nous place au coeur de la situation. « Où que nous tournions le regard, la simulation opère, et cela aussi donne un sentiment de présence dans cette réalité », ajoute Romain Streichemberger, game designer. Cofondateur de C2Care, un éditeur de logiciels thérapeutiques équipant les praticiens libéraux1, il conçoit divers programmes, dont certains avec bruitages et prises de vues réelles. Comme celui dédié à la peur de parler en public, tourné avec des acteurs assis face à vous et qui vous écoutent, bavardent ou sont penchés sur leur Smartphone. On s’y croirait ! Seul hic, le film étant enregistré, il déroule un scénario unique. La technique des images de synthèse, plus interactive, permet de créer plusieurs options afin de traiter le patient par étapes. Et c’est justement au scénario
que celui- ci réagit. « Le phobique occulte le fait que les images ne sont pas réalistes car il est focalisé sur ce qui lui fait peur », reprend le game designer.
Toutefois, le contexte thérapeutique sécurise. Les scripts sont toujours élaborés avec un psy (durée pour traverser un pont, nombre d’étages…). Voire par un psy ! Le Dr Éric Malbos, également designer 3D, les crée sur mesure. Phobie du sang sur les vêtements, peur de retrouver dans la mer des objets ayant appartenu à des inconnus… Le malade se confronte progressivement à « ses » angoisses, tout en ayant conscience que la situation reste fictive grâce aux interventions vocales de son thérapeute. Il perçoit alors une sensation d’ubiquité, comme en témoigne Faustine, jeune claustrophobe de 12 ans, pour qui deux mondes réels coexistent : « J’ai l’impression d’être dans la vraie vie, alors je panique. Mais je sais que là, je ne resterai pas enfermée dans l’ascenseur. »
La phobie reste actuellement la pathologie la plus traitée par cet outil high-tech (compter une séance hebdomadaire pendant huit à quinze semaines). C’est d’ailleurs sur celle des hauteurs que la première expérience en psychiatrie fut menée dès 1992, à l’université Clark Atlanta2, aux États- Unis, après que la réalité virtuelle eut été utilisée pour l’entraînement des militaires et astronautes de la Nasa dans les années 1980.
Aussi efficace qu’une TCC
« Les traitements en dehors de protocoles cliniques n’ont débuté qu’en 2012 », assure Éric Malbos. La TRV s’appuie sur la méthodologie des thérapies comportementales et cognitives ( TCC) : avant d’enfiler le casque, le patient apprend d’abord, pendant trois ou quatre séances, à se relaxer par des techniques respiratoires, à gérer ses émotions et ses pulsions, à modifier ses pensées et à planifier des stratégies positives. Pour la plupart des psychologues, cette nouvelle forme de « thérapie par exposition » se révèle aussi efficace qu’une TCC. Mais en plus de son aspect récréatif qui motive le patient, elle évite de confronter celui-ci à l’objet de son anxiété dans la vie réelle (chose que font peu de thérapeutes, faute de temps ! ) et se révèle plus douce qu’il n’y paraît. Car dans la situation virtuelle, les échecs n’ont aucune conséquence : le phobique ne reste pas réellement coincé dans un ascenseur, il ne verra pas une tache de sang sur son vêtement après avoir ôté son casque… Une phase de transition souvent bénéfique : « Le patient est plus en confiance in vivo lorsqu’il s’exerce entre deux rendez-vous afin de consolider ses acquis. Son degré de stress est systématiquement inférieur ou équivalent
à celui de l’étape en réalité virtuelle », note le Dr Anne Sénéquier, équipée d’un dispositif dans son cabinet.
Aujourd’hui, la TRV se développe à grande vitesse. Des scénarios axés sur le contrôle des actes et des pulsions sont utilisés pour les addictions ( le malade évolue dans un bar virtuel, par exemple), les troubles du comportement alimentaire (il se retrouve au supermarché ou face à un frigo), les troubles obsessionnels compulsifs ou le stress post-traumatique. Les images en 3D offrent aussi un support pour travailler sur l’image de soi. Ainsi, une personne en surpoids peut virtuellement tourner autour de corps incarnés par d’autres personnages et estimer lequel lui ressemble le plus, sans redouter le jugement de ces cyberindividus. La société C2Care propose désormais ces programmes aux diététiciens exerçant en libéral.
L’utilisation d’avatars est également prometteuse dans le traitement de symptômes rencontrés chez certains schizophrènes, comme l’anxiété, les hallucinations ou les syndromes de persécution. « Souvent, ces malades aiment les nouvelles technologies car elles leur servent de médiatrices dans leurs interactions sociales », souligne le Pr Benoît Bardy, coordinateur du projet AlterEgo3, visant à développer une méthode de TRV pour des pathologies handicapant la vie sociale (schizophrénie, autisme, phobie sociale, paranoïa…). Sachant que nous interagissons plus facilement avec des personnes qui nous ressemblent, les chercheurs ont exposé les volontaires à leur avatar, copie conforme de leur morphologie et de leur gestuelle. Ils ont ensuite introduit des différences sur cet alter ego afin de modifier progressivement la sociabilité du patient.
Un outil d’accompagnement
« Des séances de TCC classique complètent le protocole. Résultat : ponctuellement, les schizophrènes parviennent à répondre aux questions d’un inconnu dans la semaine qui suit », commente Benoît Bardy, qui espère que cette phase test débouchera d’ici à deux ans sur des applis permettant aux patients de s’entraîner chez eux. Suivre son traitement de réalité virtuelle « sur ordonnance » à domicile, pourquoi pas ? « On envisage des programmes bridés et supervisés par le thérapeute où, par exemple, l’acrophobe ne pourra pas monter au- delà du cinquième étage lorsqu’il s’exercera dix-quinze minutes chez lui », annonce le game designer Romain Streichemberger. Les progrès technologiques induisent moins de cinétose, cette sorte de mal de mer parfois associé à des nausées, vomissements et pertes de stabilité que ressentent certaines personnes en mettant un casque de réalité virtuelle. Quant aux contreindications, elles sont identiques à celles des jeux vidéo, notamment épilepsie ou troubles mentaux en phase délirante.
Autre amélioration à l’étude : permettre au thérapeute d’adapter le dialogue patient-avatar, soit en choisissant des phrases dans une banque de réponses, soit en les tapant sur un clavier pour les transmettre via la reconnaissance vocale. « De nombreux médecins craignent une déshumanisation du soin. Or, au contraire, plus la technologie est présente, plus l’humain et l’empathie sont importants dans le parcours de soins », défend Vincent Drye, directeur de l’innovation de l’agence Trois Prime, spécialisée dans le digital et la santé. « Certes, des personnes vulnérables risquent de s’enfermer dans la réalité virtuelle comme d’autres dans les jeux vidéo. Mais celles qui nous consultent souhaitent retrouver leur autonomie et toutes ont effectivement repris une vie normale », constate Éric Malbos. 1. Liste des cabinets privés sur c2.care. 2. « Effectiveness of virtual environment desensitization in the treatment of agoraphobia », dans Presence, Teleoperators and Virtual Environments ( juin 1996). 3. euromov.eu/alterego.