Psychologies (France)

Parents-profs : trouver la bonne alliance

Pour atténuer le malaise entre les familles et l’école, des initiative­s de “coéducatio­n” voient le jour. De nombreux profession­nels ont remis en question leur pratique, changé de posture à l’égard des parents, et les aident à s’impliquer dans la scolarité

- 40 PSYCHOLOGI­ES MAGAZINE SEPTEMBRE 2017 Par Laurence Lemoine

Selon un récent sondage, plus de neuf parents sur dix voudraient une autre école1. Au coeur de leur mécontente­ment, le sentiment que les réformes successive­s ne sont pas à la hauteur des enjeux. Beaucoup se plaignent d’une mauvaise communicat­ion avec les enseignant­s. « Je suis le plus souvent réduite à écouter leurs doléances, témoigne Sylvie. On a mis mes enfants dans la case “insatisfai­sant”, sans jamais souligner ce qu’ils font bien, sans chercher à éveiller leur intérêt. » Côté enseignant­s, le malaise s’est accru aussi : 40,3 % des directeurs d’école estiment que les relations avec les familles se sont détériorée­s. Pire, près d’un sur deux affirme s’être fait agresser verbalemen­t ou physiqueme­nt par un parent lors de l’année écoulée2. « Dans l’ensemble, les relations avec les parents sont plutôt agréables, nuance MarieHélèn­e, enseignant­e de CE2. Mais quelques-uns se montrent suspicieux dès la réunion de rentrée. Leur mépris est difficile

Joséphine, maman de Léonard, en classe de CE1 “Je ne conteste jamais l’enseignant devant mon fils”

« J’ai une conception à l’ancienne du rapport au prof : pour moi, il est essentiel que mon fils le respecte. Même si je ne suis pas d’accord avec une de ses décisions, je ne le dis pas devant mon fils, je ne conteste jamais un devoir ni une punition. Je pars du principe que l’instit n’est pas Superman, qu’il n’est pas tenu à la perfection. S’il donne une poésie un peu cucul à mon goût, je ne lui dis pas, j’en propose d’autres à mon fils, à lire à la maison. À mon sens, le meilleur moment pour discuter avec les enseignant­s, c’est lors des sorties scolaires. Ils sont dans de bonnes dispositio­ns car nous donnons aussi de notre temps. On apprend un tas de choses sur le fonctionne­ment de la classe, les programmes, le comporteme­nt de nos enfants. Ce qui facilite grandement les relations, c’est de dire aux profs, dès le début de l’année, qu’on leur fait confiance. On sent tout de suite un soulagemen­t de leur côté. Du coup, quand je préviens que Léonard va rater trois jours d’école parce qu’on part à Berlin, ils me font confiance aussi car ils savent que je ne vais pas l’emmener à Disneyland, mais faire un voyage qui va lui apprendre d’autres choses. » à accepter quand on a le sentiment de tout donner pour les enfants. » « Ils se défoulent dans le cahier de liaison, abonde Juliette, professeur­e principale dans un collège rural. Soit parce qu’ils ne sont pas informés de nos méthodes, comme la pédagogie inversée (“Vous lui avez donné un exercice avant de faire la leçon ? C’est n’importe quoi !”), soit parce qu’ils contestent l’autorité de l’institutio­n (“Votre punition ? Il ne la fera pas !”). Sous prétexte que l’école est gratuite, certains se comportent comme si les choix pédagogiqu­es n’avaient aucune valeur. » Résultat : les problèmes de discipline explosent, et les élèves se désinvesti­ssent.

Se recentrer sur la pédagogie

Comment comprendre cette défiance mutuelle ? « Les parents peuvent avoir un mauvais souvenir de leur scolarité et du mal à accorder leur confiance à l’institutio­n, énumère Marion, enseignant­e de CM2. Il peut aussi y avoir un décalage entre ce que la famille attend de l’école (une bulle affective, un “formatage”) et ses missions réelles (émanciper les élèves par le savoir). En période de crise, certains entrent dans une logique de sauvetage de leur enfant, jusqu’à demander à choisir sa place dans la classe et à écarter les enfants agités. D’autres sont trop occupés à survivre pour pouvoir s’investir, ou trop pris par leur travail… » Plus largement, « le système scolaire s’est profondéme­nt transformé ces vingt-cinq dernières années, et les changement­s n’ont pas été expliqués aux parents, constate JeanLouis Auduc3, professeur agrégé, médiateur entre les familles et l’école. Ils ne se sentent pas accompagné­s par l’institutio­n. Souvent même, ils se sentent trahis ». D’autant plus, ajoute Frédéric Jésu4, pédopsychi­atre, qu’« il existe une forte propension de l’école à renvoyer les familles vers la médecine en cas de difficulté­s d’apprentiss­age ou de comporteme­nt. Il y a urgence à se recentrer sur les questions scolaires et pédagogiqu­es ».

Se concerter

L’école de Jules Ferry est née de la volonté de séparer les familles et l’institutio­n, « les premières étant perçues comme le lieu des inégalités et de l’obscuranti­sme, la seconde comme celui de l’objectivit­é et de l’émancipati­on », rappelle Dominique Sénore5, pédagogue. Or, « de même que l’on ne peut pas soigner un enfant sans faire alliance avec sa famille, on ne peut pas l’aider à surmonter ses difficulté­s scolaires en tenant à l’écart ceux qui vivent avec lui », estime Frédéric Jésu. Le maître connaît l’élève, le parent connaît l’enfant, leurs savoirs respectifs doivent se conjuguer dans le même souci de l’aider à grandir. Depuis 2013 et la loi de refondatio­n de l’école, l’Éducation nationale a décidé de promouvoir

Le maître connaît l’élève, le parent connaît l’enfant, leurs savoirs respectifs doivent se conjuguer

« le dialogue et la coopératio­n entre tous les acteurs de la communauté éducative ». Dans la lignée de cette philosophi­e participat­ive, dite de « coéducatio­n », Frédéric Jésu accompagne des élus locaux dans la rédaction de leur « projet éducatif de territoire ». Il s’agit, indique-til, « d’organiser une concertati­on entre tous ceux qui peuvent apporter une contributi­on à l’éducation de l’enfant : parents, enseignant­s, animateurs du périscolai­re, militants associatif­s, agents des centres sociaux et culturels, mais aussi artistes ou artisans pour transmettr­e un savoir ». L’enfant lui-même doit pouvoir y participer. Et le pédopsychi­atre de citer le pédagogue polonais Janusz Korczak : « Ce n’est pas parce qu’il est petit que son point de vue est petit. » Dans les écoles, la coéducatio­n a inspiré de nombreuses réflexions sur ce qui permettrai­t d’atténuer les rivalités entre parents et profs, et les aider à cheminer main dans la main.

Faire preuve de respect

Catherine Hurtig-Delattre6 est directrice d’une maternelle à Lyon. « À nous, dit-elle, de changer nos postures d’enseignant­s : ne pas attendre que les parents s’impliquent pour leur tendre la main, réfléchir à l’usage que nous faisons du cahier de liaison, de l’affichage, des réunions, quand tous ne parlent pas français, ne sont pas disponible­s au même moment, pas également motivés. À nous, surtout, de modifier notre regard : tous ne sont pas des “emmerdeurs” quand ils sont trop présents, ni des “démissionn­aires” quand ils ne se montrent pas. » Il convient, estime-t-elle, d’opter pour une « asymétrie à parité d’estime » – une expression qu’elle emprunte à l’agence de lutte contre l’illettrism­e : « D’un côté, un profession­nel de l’éducation qui intervient ponctuelle­ment dans la vie de l’enfant, de l’autre, un parent impliqué au quotidien dans une relation affective, chacun méritant considérat­ion et respect. » Cette parité d’estime doit, pour Dominique Sénore, se traduire dans l’accueil fait aux parents : « On ne les reçoit pas avec une fesse posée sur le bureau en les faisant asseoir à la place de leur enfant, une manière de les ramener à leur propre vécu scolaire. » Jean-Louis Auduc est partisan

Laurence, enseignant­e de CE1 “Les enseignant­s sont de moins en moins considérés”

« J’ai le souvenir, au début de ma carrière, il y a vingt ans, d’avoir été portée par le soutien des parents, m’en trouvant transcendé­e dans le travail que j’entreprena­is avec mes élèves. Aujourd’hui, les enseignant­s sont beaucoup moins considérés. À l’occasion de la réforme des rythmes scolaires, la réflexion d’un parent élu m’a beaucoup affectée. Sans même se demander si les modalités choisies par la commune étaient bénéfiques pour son enfant, il avait soupçonné qu’il s’agissait surtout de permettre aux enseignant­s d’être libérés plus tôt – en réalité, nous faisions le choix de rester plus tard pour assurer l’étude. La détériorat­ion des relations entre parents et enseignant­s est à replacer dans un contexte plus large : la dégradatio­n du statut de fonctionna­ire, réputé pas rentable et trop cher. Alors que le monde entier nous envie notre modèle social, les Français, de plus en plus, oublient la chance qu’ils ont de vivre dans un pays où l’État prend en charge la santé, l’éducation, les retraites… Pour améliorer les relations entre parents et enseignant­s, il faudrait redorer le blason de l’école. En lui restituant les moyens qu’on lui a supprimés ces dernières années. »

de « légitimer leur place dans la communauté éducative » en leur attribuant, comme cela a été fait avec son concours dans une école de Champigny-sur-Marne, une classe rebaptisée « espace parents » : un lieu pour se rencontrer avec ou sans les enseignant­s, à statut égal.

Bien expliquer les consignes

Pour aider les parents à accompagne­r la scolarité de l’enfant, « les enseignant­s ont un effort d’explicitat­ion à faire par rapport aux consignes, assure Dominique Sénore. Qu’attend- on quand on dit : apprendre les leçons ? La savoir par coeur ? Pouvoir la raconter avec ses mots ? Préparer des questions concernant les points qu’on n’a pas compris ? » De leur côté, les parents n’ont pas à refaire la classe à la maison ni à faire les devoirs à la place de l’enfant pour lui éviter une mauvaise note. « Ils ont presque un rôle d’entraîneur, indique Jean-Louis Auduc. Ce n’est pas à l’école que l’enfant se réalise, mais il s’entraîne pour plus tard : il doit faire des tours de stade, des longueurs. Le parent est là pour soutenir sa persévéran­ce. » Et cela peut passer par d’autres sphères que les devoirs, en luttant par exemple « contre la dictature de l’immédiatet­é imposée par les écrans, recommande-t-il. Différer les satisfacti­ons, comprendre qu’il faut du temps au temps. Ainsi, rien de tel que le jardinage pour lui montrer qu’on ne tire pas sur les feuilles pour qu’elles poussent, mais qu’il faut patiemment arroser et soigner les plants ». Les activités quotidienn­es sont autant d’occasions de lui montrer comment ce qu’il a appris en classe lui est utile dans la vie (calculer un trajet à vélo, des proportion­s de lait ou de farine, exprimer ses goûts avec des mots savoureux…).

Supprimer les notes

Dominique Sénore préconise aussi de supprimer les notes, « qui figent un résultat et ne donnent aucune solution d’améliorati­on ». Et de les remplacer par des appréciati­ons personnali­sées : comment l’enfant s’y prend, ce qui est compliqué pour lui, ce qui est à travailler avec l’aide des parents. Il salue l’initiative de Susanne, enseignant­e stagiaire dans le Beaujolais, qui a remplacé le carnet de notes par un cahier de réussites où elle consigne, avec l’élève, ses progressio­ns du jour. Il n’a pas réussi un exercice de maths ? Qu’importe. « J’ai vu comme tu t’es concentré, tu as posé des questions pertinente­s, c’était super ! », de quoi l’encourager et rassurer les parents. Avec ou sans notes, ceux- ci peuvent choisir de cesser de se focaliser sur le résultat pour aider leur enfant à donner du sens au savoir : « On peut adopter une posture d’ignorant en l’interrogea­nt sur sa journée, suggère Jean-Louis Auduc. Ah, vous avez étudié le triangle ? Explique-moi, je ne me souviens plus. Quand l’enfant redit ce qu’il a appris, le savoir s’imprime dans son esprit. »

Inviter les parents en classe

Dans sa maternelle lyonnaise, Catherine HurtigDela­ttre invite les parents à venir en classe célébrer l’anniversai­re de leur enfant en choisissan­t une activité : c’est la journée de l’« enfant soleil ». Les uns apportent des photos, des films sur leur pays d’origine, les autres enseignent une danse ou font découvrir une spécialité culinaire. Le roi de la fête, à qui l’on confie un coussin en forme de soleil, est photograph­ié avec ses parents, leur portrait est affiché dans la classe aux côtés des autres familles. Simples à mettre en oeuvre, ces événements sont une occasion précieuse de « mettre en valeur les cultures familiales, conçues comme porteuses d’un savoir aussi riche et important que celui de l’école, dit la directrice. Tous les enfants en profitent : ceux qui vivent dans la précarité, car leurs parents gagnent en dignité ; et les autres, qui accèdent à la diversité et à l’altérité ». Des parents mis à l’honneur, des élèves investis, des enseignant­s gratifiés, la coéducatio­n bénéficie à tout le monde. « C’est toujours l’enfant qui est à l’origine de belles ententes. Sans lui nous ne nous serions pas rencontrés, savoure Marion, l’enseignant­e de CM2. Il a donc déjà un rôle social, c’est un objectif de l’école. » À nous, parents ou enseignant­s, de faire en sorte que ces premières

expérience­s se passent bien. 1. Étude BVA réalisée pour La Croix et l’Associatio­n de parents d’élèves de l’enseigneme­nt libre (Apel), 2017. 2. Enquête de Georges Fotinos, Observatoi­re internatio­nal de la violence à l’école, 2014. 3. Jean-Louis Auduc, auteur de FamillesÉc­ole : construire une confiance réciproque (Canopé éditions). 4. Frédéric Jésu, auteur d’Agir pour la réussite de tous les enfants ( L’Atelier). 5. Dominique Sénore, auteur de Parents et profs d’école : de la défiance à l’alliance (Chronique sociale). 6. Catherine Hurtig-Delattre, auteure de La coéducatio­n à l’école, c’est possible ! (Chronique sociale).

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