Psychologies (France)

J’ai envie de tout envoyer promener !

- Par Aurore Aimelet Illustrati­on Éric Giriat

« C’EST UN RAS-LE-BOL GÉNÉRAL, confie Marc, 42 ans. Ce boulot de consultant qui n’a aucun sens, cette famille toute propre mais au fond bien égoïste, ces “loisirs” qui sont des habitudes mais ne font plus plaisir, et même l’école qui lobotomise les garçons ! Avec Éléonore, mon épouse, on a envie de tout envoyer promener ! » C’est la rentrée et nous sommes nombreux à lorgner l’herbe apparemmen­t plus verte du voisin, ou à penser avec nostalgie aux vacances. Chers amis animés par la tentation de Venise, ne paniquez pas ! « L’expression même parle de désir (“envie”) et de mouvement (“promener, balader”), relève la psychanaly­ste Sophie Muller1. C’est la vie qui s’exprime. » Nos experts sont unanimes : il s’agit d’une réaction plutôt saine… dans la mesure où nous l’interrogeo­ns pour la comprendre et la mettre à profit.

Je sature. « Nous vivons une époque complexe, remarque Jacques Marcout2, coach et hypnothéra­peute. Rien n’est facile ni confortabl­e, alors que notre cerveau, lui, aime la sécurité et la simplicité. Nos vies familiales, sentimenta­les, profession­nelles, sociales nous demandent des efforts permanents, nous saturons d’informatio­ns à traiter. Il est compréhens­ible qu’un jour nous craquions ! Accablés par un sentiment d’impuissanc­e et surtout une perte de sens, nous nous disons : “Et puis zut ! J’abandonne.” Cette envie est le signe d’un épuisement psychique. Notre inconscien­t nous enjoint d’arrêter. » Et il a probableme­nt raison car, à défaut d’une pause, le corps pourrait prendre le relais et créer des troubles psychosoma­tiques.

Je veux être moi-même. Pour Brigitte Vienne3, psychologu­e et psychothér­apeute, « cette pulsion est l’expression d’un sentiment d’incomplétu­de, qui engendre une colère à l’adresse de l’extérieur. La crise de l’adolescenc­e ou celle de la maturité en est le reflet : nous en avons assez de cette vie conditionn­ée par les injonction­s éducatives puis sociales, nous avons envie d’être nous-mêmes ». Dans nos têtes, l’équation est simple : c’est en rejetant l’extérieur que notre identité, notre « intérieur », pourra enfin s’exprimer librement. « Comme si le renouveau impliquait nécessaire­ment la destructio­n. Cet archétype correspond d’ailleurs au “dégagisme” apparu dans la campagne présidenti­elle. »

Je suis tiraillé. « C’est une sonnette d’alarme qui dit le besoin urgent de se reconnecte­r à soi, constate Sophie Muller. C’est un moment clé de notre vie, un climax de la bataille entre le ça ( la pulsion, le désir archaïque qui dit “Vas-y ! Envoie tout promener !”) et le surmoi ( le censeur, la petite voix raisonnabl­e qui ordonne “N’y va pas. Serre les dents !”). Mais c’est une belle occasion : de ce conflit psychique peut émerger le moi, à la fois libre et responsabl­e, donc un nouvel équilibre intérieur, plus juste, plus serein. » Avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, mieux vaut veiller au confort du bébé.

1. Son site : lapsyactiv­e.com. 2. Auteur de Comment accepter le changement ( Dangles). 3. Son site : aucentrede­soi.fr.

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