Psychologies (France)

Un psy pour l’enfant… ou pour le parent ?

- Par Stéphanie Torre

Les listes d’attente chez les pédopsys s’allongent. Mais confier ainsi sa progénitur­e n’éviterait- il pas à certains parents de s’engager eux- mêmes dans une thérapie ? Les bonnes questions à se poser et les réponses de nos experts.

C’est un nouveau réflexe, ou plutôt une néo- norme qui s’est progressiv­ement imposée… Emmener son enfant chez le psy à la moindre question est devenu un geste de salubrité. Dans tous les milieux. Et qu’il ait 1 ou 20 ans, c’est chaque fois la même procédure : on cherche « la » bonne adresse, ce sésame qui permettra, enfin, de respirer en paix. Parce que c’est vrai, il faut bien l’avouer : elle est un peu agressive, ou il a souvent mal au ventre ; elle refuse toute séparation, ou il est hyperactif… Alors on veut savoir : « Avec mon fils/ma fille, c’est quoi le problème ? » À cette question, que lui adressaien­t déjà tant de pères et de mères des années 1970, la célèbre psychanaly­ste Françoise Dolto répondait en se tournant d’abord vers l’enfant : « Est-ce que tu sais, toi, pourquoi je suis là ? » Et ajoutait : « Je ne suis pas là pour que tu sois sage à la maison, parce que, sinon, cela voudrait dire que je suis là pour tes parents. Je ne suis pas là non plus pour que tu travailles bien à l’école, sinon cela voudrait dire que je suis là pour ton professeur. Je ne suis pas là pour que tu guérisses de ton asthme ou de ton eczéma, sinon cela serait pour rendre service à ton médecin. Non ! Moi, je suis là pour que tu deviennes ce que tu es. » Quant aux parents, à eux de s’interroger… Malin ? Oui. Mais force est de constater que, plus de quarante ans plus tard, l’époque a bien changé. Aujourd’hui, dans les familles comme dans certains cabinets, du fait même de la « sanctifica­tion » des discours scientiste­s sur la santé psychique, plus question (ou presque) d’envisager le symptôme d’un enfant ou d’un ado comme un « déguisemen­t », c’est-à-dire comme « l’expression d’un langage codé, créé à l’intention d’un interlocut­eur », selon les mots de la psychanaly­ste Maud Mannoni.

La vérité du “couple familial”

Ce que l’on exige désormais, c’est que le problème soit vite éradiqué ! Peu importe ce qu’il représente, y compris, parfois, la « vérité du couple familial »… Or, cela, bien sûr, ne va pas sans conséquenc­es. Il suffit de voir les chiffres : explosion des prescripti­ons de psychotrop­es ou de psychostim­ulants destinés aux enfants, augmentati­on des diagnostic­s de troubles du déficit de l’attention avec hyperactiv­ité ( TDAH) et autres problèmes « dys » (dyslexies, dysphasies, dyscalculi­es…). « Du coup, de plus en plus d’enfants sont étiquetés sans que l’on ne tienne plus compte de leur histoire singulière, ni du contexte dans lequel ils évoluent », s’indigne le psychiatre et psychanaly­ste Robert Neuburger. Et ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle. « Car ce que les parents doivent savoir, c’est que, parfois, ce n’est pas celui qui semble le plus troublé qui a le plus besoin d’un psy », reprend le spécialist­e. À quoi faut-il donc être attentif avant de prendre rendez-vous ? Réponses de nos experts.

1. Problème psychologi­que ou pédagogiqu­e ?

ROBERT NEUBURGER1 psychiatre, psychanaly­ste, thérapeute familial et conjugal

Psychologi­es : Pour quelles raisons les parents d’aujourd’hui vous amènent-ils leur enfant ?

R. N. : Dans la majorité des cas, c’est d’abord l’école qui leur conseille de consulter. Pour une raison simple : celle-ci se décharge des problèmes pédagogiqu­es sur les parents avec une facilité déconcerta­nte, et je reçois donc très souvent des parents culpabilis­és par une institutio­n qui, elle, ne se pose pas de questions. Mais il y a aussi, bien sûr, des parents qui font la démarche d’eux-mêmes parce qu’ils notent un « problème » et s’inquiètent de savoir si leur enfant ne relèverait pas d’une de ces nouvelles étiquettes, d’un de ces nombreux diagnostic­s à épithètes qu’ont récemment créés les laboratoir­es…

Vous diriez donc que les parents sont souvent « sous influence » ?

R.N. : Plus qu’avant. Mais je remarque aussi que les problèmes exposés par les parents sont souvent davantage d’ordre pédagogiqu­e que psychologi­que : beaucoup arrivent en disant qu’ils ne savent plus « comment faire ». La raison principale de cette remise en question ? À mon sens, elle tient d’abord à l’exercice de la coparental­ité : de plus en plus fréquemmen­t, les couples découvrent, une fois que l’enfant est là, qu’ils n’ont pas du tout le même projet éducatif en tête, et cette rivalité se révèle aussi désastreus­e pour l’enfant que pour le couple. Parmi les familles qui me consultent, beaucoup reconnaiss­ent nager en pleine confusion : la mère est devenue le parent qui limite et organise, le père s’est mis à jouer à la maman… Et, au bout du compte, le cercle vicieux s’installe : plus elle devient contrôlant­e, moins il se montre soutenant. La protestati­on féminine prend alors souvent la forme d’une rétorsion dans l’intimité conjugale. Plus de câlins : le début de la spirale infernale… Selon vous, les parents d’aujourd’hui veillent-ils « trop » au bien-être de leur enfant ? R. N. : Disons plutôt qu’il se produit quelque chose de similaire à ce qu’il s’est passé, il y a quelques années, avec l’adoption. Je vois des parents qui veulent tellement bien faire qu’ils finissent par ne plus considérer l’enfant comme un membre de la famille, mais presque comme un hôte. L’hôte d’une famille d’accueil. Or, difficile, dans ces conditions, de développer un sentiment d’appartenan­ce… Ce phénomène contempora­in résulte, selon moi, d’un glissement progressif de l’« enfant désiré » à l’« enfant décidé ». En peu de temps, cela a entraîné une hyper-responsabi­lisation des parents. Beaucoup se comportent avec leur enfant comme s’ils avaient reçu un don, un présent, oubliant par là même que la famille induit des droits, mais aussi des devoirs. Nous assistons donc à une inversion de la dette transgénér­ationnelle : longtemps, les enfants ont dû à leurs parents et, désormais, de nombreux parents pensent qu’ils doivent à leurs enfants. D’où leur demande : comment faire pour éduquer ? Plutôt que s’en remettre aux psys, peut-être en commençant par s’interroger sur ce qu’ils souhaitent transmettr­e. 1. Auteur, entre autres, des Rituels familiaux ( Payot, “Petite Bibliothèq­ue”). Retrouvez-le également dans notre rubrique « La première séance », p. 70.

2. Détresse cachée ou exprimée ?

SAMUEL DOCK1 psychologu­e clinicien, spécialist­e des adolescent­s

Quels sont les motifs pour lesquels les adolescent­s vous consultent ?

S. D. : En général, on m’adresse les adolescent­s parce qu’ils ressentent une réelle détresse face à laquelle parents et enseignant­s se sentent démunis, surtout lorsque celle-ci est tue et qu’ils ne savent plus quoi dire, ou lorsqu’elle s’exprime directemen­t, via un comporteme­nt qui rend le vivre-ensemble difficile ou impossible. Du trouble obsessionn­el compulsif ( TOC) à l’anorexie dissimulée, de l’agressivit­é tapageuse à la dépression discrète, il est parfois assez aisé d’identifier la nécessité d’une prise en charge psychologi­que. Mais l’appel au soin peut également se faire entendre de manière beaucoup plus indirecte. Voilà ce que je dois déterminer. Parfois, cependant, la demande émane des ados eux-mêmes. Il faut dire que, avec les différente­s politiques de prévention, et peut-être la reconnaiss­ance de la figure du psy, j’ai l’impression que ceux-ci parviennen­t à identifier plus aisément qu’il existe des espaces de parole où ce qui est indicible et inaudible ailleurs peut devenir exprimable et écoutable. Comme s’ils étaient de plus en plus nombreux à comprendre que le cabinet de thérapie pouvait être le lieu d’une écoute, d’une présence à l’autre, d’une « veillance », comme dirait le grand psychiatre Jean Oury.

Acceptez-vous de suivre un ado même si vous devinez que le problème se situe du côté d’un des parents, ou des deux ?

S. D. : Quel que soit le cas de figure, je mobilise aussi souvent que possible les parents dans la thérapie de leur enfant. Je ne divulgue rien du contenu des séances, évidemment, et je préserve une complète neutralité. Mais il m’apparaît essentiel de les laisser s’exprimer, de les renseigner sur mes façons de travailler, et parfois même de les guider un peu. Cette collaborat­ion se veut être, en effet, un acte de parentalit­é : elle permet à l’adolescent de percevoir que, même s’il rejette ses parents dans son accession à l’autonomie, même s’ils ont des conflits, il peut se faire entendre. Arrive- t- il que ce soient les parents qui dysfonctio­nnent ? Oui, parfois. Mais j’accepte alors quand même l’adolescent en thérapie si je perçois que je peux l’aider à traverser l’orage, à apprivoise­r la complexité de son environnem­ent familial. Et rencontrer ses parents me permet alors d’essayer d’orienter ces derniers en douceur – mais fermement – vers un autre profession­nel, ou vers un groupe de parole, ce qui peut constituer une première étape.

Dans quels cas réorientez-vous l’ado ou ses parents ?

S. D. : Je m’accorde souvent trois séances pour déterminer si je suis en mesure de débuter une collaborat­ion thérapeuti­que, et je réoriente un patient si je pense que ma méthode n’est pas la plus appropriée pour lui venir en aide. Par exemple, s’il souffre de troubles trop massifs, qui empêchent l’élaboratio­n d’un travail de parole dans un premier temps, je peux le diriger vers un psychiatre. Une chose est certaine : dans tous les cas, j’engage ma responsabi­lité. D’où mon conseil aux parents : méfiezvous des gourous qui prétendent pouvoir résoudre le problème très vite. Amorcer un suivi psychothér­apeutique demande toujours un peu de temps. Et une investigat­ion clinique rigoureuse. 1. Auteur, avec Marie-France Castarède, du Nouveau Malaise dans la civilisati­on ( Plon).

3. Souffrance parentale ou mal-être enfantin ?

VALÉRIE CARRARA psychologu­e clinicienn­e, spécialist­e des enfants

Les enfants sont-ils toujours d’accord pour venir vous voir ?

V.C. : Parfois, même en bas âge, ils sont capables de comprendre ce qu’ils vont pouvoir trouver en thérapie. Je me souviens ainsi d’une fillette de 18 mois qui parlait déjà bien et a poussé ses parents vers la porte au bout de quelques minutes pour les faire sortir. Elle avait des choses à dire les concernant et les sentait en souffrance. Je dirais donc que l’adhésion des enfants au procédé thérapeuti­que dépend souvent de leur maturité. Mais il y a aussi des cas où leur silence se révèle très parlant. Je repense à cette autre enfant de 4 ans qui, prostrée sur les genoux de son père durant plusieurs séances, ne concédait à rouvrir la bouche que sur le pas de la porte. « Que cherche-t-elle à nous dire ? » ai-je un jour interrogé le papa. « Puisque, chaque fois, c’est vous qui prenez la parole, ne pensez-vous pas qu’elle vous invite à vous engager dans une thérapie ? » Très vite, celui-ci a pu entendre que sa fille lui murmurait en effet : « Fais quelque chose pour toi… » Et il a entamé un travail.

Vous ne réorientez donc jamais le ou les parent(s) dès la première séance ?

V.C. : Non, car dans tous les cas je veux être disponible à la parole du jeune patient. Même si le problème ne vient pas de lui, c’est toujours compliqué et douloureux d’avoir un ou ses deux parents qui ne vont pas bien. Du coup, l’enfant peut être très tenté de vouloir porter les charges parentales… Mon rôle est alors de l’aider à mettre des mots et à faire le tri dans ce legs, avant qu’il puisse finalement restituer à son (ou ses) parent(s) ce qui lui (leur) appartient.

Les parents de vos jeunes patients sont-ils souvent amenés à s’interroger sur le bien-fondé d’une thérapie pour eux-mêmes ?

V.C. : Nombreux sont ceux qui, en cours de route, sont amenés à se poser la question, oui. Et beaucoup en concluent, plus ou moins rapidement, que cet engagement personnel est finalement assez inévitable. L’enfant est, en effet, souvent le symptôme du couple familial, de son environnem­ent… D’ailleurs, les mères et les pères qui ne s’interrogen­t pas à ce sujet, ou qui s’y refusent, sont généraleme­nt ceux qui ont aussi le plus de difficulté­s à concevoir qu’une thérapie d’enfant ne se règle pas nécessaire­ment en deux ou trois séances. Ou ceux qui tardent toujours à reprendre rendez-vous… Quand ils en reprennent un.

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