Psychologies (France)

Accompagne­r les malades du cancer

Un centre Ressource ouvre cet automne à Paris. Il propose aux personnes atteintes du cancer et à leur entourage une aide au mieux-être et un soutien thérapeuti­que, en complément de la chimio et de la radiothéra­pie. Laure, 37 ans, fréquente assidûment celu

- Par Valérie Péronnet Photos Stéphanie Tétu

C’ était un matin de printemps 2016. Laure était en fin de congé parental, après la naissance de son deuxième enfant. En prenant sa douche, elle a senti quelque chose d’anormal sous son doigt. Gynéco, biopsie, diagnostic : quelques jours plus tard, on lui annonçait un cancer, avancé dans le sein gauche et en germe dans le droit. « Quand on m’a dit “chimio”, j’ai imaginé mon corps décharné et j’ai eu peur de faire peur à mes enfants. Comment leur parler de tout ça ? Je savais qu’en quinze jours mes cheveux allaient tomber : il fallait faire vite. Avec Christophe, mon mari, on a tout de suite su qu’on aurait besoin d’aide pour que cette épreuve ne nous détruise pas tous. Nous avons pris rendez-vous au centre Ressource pour un entretien d’accueil. »

Elle se souvient de son inquiétude, sur le parking, devant le petit immeuble de banlieue d’Aix- en

Provence. Et de son soulagemen­t, dès le seuil franchi, de n’avoir pas l’impression d’entrer dans un hôpital, mais plutôt dans le salon d’une maison accueillan­te, entre deux canapés et une grande bibliothèq­ue. « Ahmed, le directeur, nous a reçus avec Sandrine, la coordinatr­ice. Depuis l’annonce du diagnostic, on était paumés et très stressés. Christophe parlait, parlait, sans me laisser en placer une, mais moi, j’espérais qu’ici ils allaient pouvoir nous aider. J’ai aussitôt senti que c’était un bon endroit pour moi. » Ahmed, lui, sent surtout que Christophe est au bord de l’implosion. « Il lui a proposé de visiter le centre pendant que je restais avec Sandrine. Et mon mari s’est retrouvé entre les mains d’un réflexolog­ue qui lui a offert une petite séance pour le déstresser. Lui qui ne s’était jamais intéressé à toutes ces techniques “bizarres”, il a découvert que ça pouvait être hyper efficace… »

C’est le début, pour Laure, son mari et ses proches, d’un long parcours dans lequel ils sont toujours engagés. Le centre propose une multitude de soins, suivis, activités, dont les usagers disposent à leur convenance et selon leurs besoins. Et un hammam et une piscine en accès libre, où l’on peut se montrer quel que soit son état sans avoir peur d’être gêné par le regard des autres. « Les trois premiers mois, j’ai essayé tout ce qui me faisait envie : yoga, Pilates, méditation, écriture, peinture, tai-chi, plus un accompagne­ment individuel avec Laetitia, ma psychothér­apeute. C’était l’été, il faisait chaud, tout le monde était en mode “vacances”, et moi, j’en bavais, enfermée à la maison, à essayer de supporter les effets de la chimio. Je ne sais pas comment j’aurais fait sans le centre. La maladie, ça isole énormément. Ici, on peut être joyeux ou découragé, en forme ou sur les rotules… Et surtout, on a le droit de ne pas aller bien. »

À la rentrée, Laetitia propose à Laure de s’engager dans le programme personnali­sé d’accompagne­ment thé- rapeutique ( PPACT) spécifique du centre. « On n’est pas du tout obligé. Mais j’en avais déjà parlé avec d’autres personnes rencontrée­s ici, et ça me tentait bien. » Il s’agit d’un réel engagement sur un an, pour des temps de thérapie individuel­le, des temps d’apprentiss­age (conférence sur le fonctionne­ment du corps, la nutrition, ateliers de cuisine, de méditation, de communicat­ion non violente…) et d’autres au sein d’un groupe de parole, sur la base d’un calendrier qu’on doit respecter. Quand elle en parle à Christophe, il est plutôt réticent. « Il craignait que ça m’enferme dans ma maladie… Mais moi, j’avais envie de ce groupe. Je voulais me confronter à des gens qui étaient dans la même situation familiale et qui vivaient la même chose que moi. »

Début octobre, elle fait connaissan­ce de la dizaine de membres de son groupe de parole, qui lui devient presque immédiatem­ent

indispensa­ble. « Contrairem­ent à certains que j’ai rencontrés ici et qui doivent affronter seuls la maladie, j’ai la chance infinie d’avoir une famille et des amis formidable­s, qui me soutiennen­t

“QUAND ON EST ÉPUISÉ PAR LA MALADIE, C’EST UN LUXE D’AVOIR ACCÈS À TOUT ÇA, PRESQUE GRATUITEME­NT”

de façon exemplaire. Mais il y avait des choses dont je ne pouvais pas leur parler et que j’avais besoin de partager. » Dès la troisième séance, elle avoue ce qu’elle n’ose pas dire à Christophe : l’opération est imminente, mais malgré la décision qu’ils ont prise ensemble, elle n’est pas tout à fait sûre d’être prête à se faire enlever les deux seins. « J’ai expliqué que j’avais peur de perdre ma féminité. Gilles, le seul homme, m’a dit : “Quand je te regarde, c’est ton sourire que je vois, pas ta poitrine.” Et Cécile, dont les métastases au poumon sont inopérable­s, m’a seulement dit : “Contrairem­ent à moi, tu as le choix…” C’était clair et direct. J’ai accepté la double mastectomi­e en l’assumant complèteme­nt. » Quand Laure raconte son groupe, son regard s’illumine. « Ça me fait un bien fou de les avoir dans ma vie. J’ai plein d’amis pourtant, mais avec ceux du groupe, ce n’est pas pareil. On sait. On échange, d’égal à égal, des choses très intimes comme l’inquiétude pour nos enfants, la peur ou l’approche de la mort, les choix thérapeuti­ques compliqués… On parle aussi beaucoup de sexualité – ça n’est pas simple avec un corps dégradé, même si j’ai découvert avec Christophe, dans la douleur et l’émerveille­ment, que quand le corps lâche, il reste l’amour. Curieuseme­nt, je ne me suis jamais sentie aussi féminine et désirable que depuis que je n’ai plus de seins. »

Un des cadeaux de ce lieu hors du commun, c’est le nombre d’outils thérapeuti­ques mis à la dispositio­n des usagers, dans un même lieu. « Quand on est épuisé par la maladie, c’est un luxe inouï d’avoir accès à tout ça, presque gratuiteme­nt et dans un endroit accueillan­t. » Laure détaille avec précision ses découverte­s thérapeuti­ques : « L’esthéticie­nne m’a montré comment préparer ma peau pour qu’elle supporte la chimio. L’hypnothéra­pie m’a vraiment aidée à passer les gros caps, comme le deuil de ma poitrine. La gestalt m’a appris à dire les choses au lieu de les laisser s’accumuler et de péter les plombs. Après mon opération, l’ostéo a travaillé sur une côte saillante qui me faisait beaucoup souffrir depuis la disparitio­n de mes seins. Avec la sophrologi­e, je sais me relaxer grâce à la respiratio­n et à la visualisat­ion. Et les exercices de cohérence cardiaque m’aident à ne pas paniquer dans les moments difficiles. »

Partagée entre la pudeur et l’envie de témoigner, il lui faut plus de temps pour se raconter, elle, et le chemin intérieur parcouru depuis ce printemps 2016. Le PPACT implique un réel engagement « pour permettre à chacun d’influencer positiveme­nt sa santé », annonce la brochure de présentati­on. Une remise en question profonde du rapport qu’on a avec son corps, mais aussi avec la vie, ses proches, son histoire familiale, son passé et son avenir… « Cette maladie a arrêté ma fuite en avant. J’ai été stoppée net, obligée de m’atteler enfin à ce que je n’avais jamais eu le courage d’entreprend­re. J’ai dit à ma famille : “Occupez-vous de mes enfants, moi je m’occupe de moi”, et j’ai commencé une vraie psychothér­apie. Avec Laetitia, je ne parle pas que de cancer, tant s’en faut. J’ai essayé pendant des années de travailler sur mon enfance compliquée, mais je n’avais jamais rencontré des gens capables de m’aider. » Laure évoque à

demi-mot les épreuves sur lesquelles elle a dû revenir. Mais aussi les moments forts de l’année écoulée et les partages bouleversa­nts auxquels elle a participé, au sein de son groupe. « Ici, c’est le meilleur endroit pour affronter ça : on te laisse ta place, quelle qu’elle soit. » Elle rit en racontant qu’en ville certains murmurent que le centre est « une sorte de secte », à cause des thérapies présumées « bizarres » qui y sont proposées.

Un an et demi après son diagnostic, après treize séances de chimio et trente de radiothéra­pie, les médecins considèren­t que le cancer de Laure est en rémission. Mais le chemin n’est pas terminé : cet automne est programmée la reconstruc­tion mammaire, qu’elle espère et redoute à la fois. « J’ai du mal à en avoir envie mais je ne me fais pas de souci. Je vais travailler ça en hypnothéra­pie et en sophrologi­e, et ça va aller. » Laure commence à préparer, aussi, le retour à « l’autre vie », active, avec l’aide du groupe « D’part », animé par l’assistante sociale de Ressource. Pas question, pour elle, de reprendre son poste de commercial­e : elle rêve plutôt de se lancer dans la décoration d’intérieur ou l’art floral, qu’elle a découvert ici. « Ou tout autre chose, qui aurait à voir avec mon côté créatif, que je n’avais jamais osé explorer. » Elle sait aussi qu’elle continuera à venir au centre aussi longtemps qu’elle en aura besoin, pour recevoir aide et soutien, mais aussi peut-être pour en apporter, en tant que bénévole. « L’avenir ne m’inquiète plus. Du tout. Mes enfants vont bien, mon couple aussi : nous traversons la maladie sans trop de dommages. Et presque comme une chance, même. Elle a tout précipité. Toutes mes peurs me paralysaie­nt. Aujourd’hui, je sais que je vais les dépasser. Grâce à l’accompagne­ment des gens du centre, les thérapeute­s, mon groupe, l’équipe, je me sens de plus en plus en adéquation avec mon être profond. Je pensais que le bonheur viendrait de l’extérieur, mais le bonheur est en moi. J’ai découvert ça ici. Maintenant, je n’ai plus peur, je sais que je suis capable de tout. Je suis en train de trouver, enfin, une place dans ma vie, et ma place dans la vie. »

“MAINTENANT, JE N’AI PLUS PEUR, JE SAIS QUE JE SUIS CAPABLE DE TOUT”

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Le centre propose aussi des cours d’art-thérapie. Lorsqu’elle pense à son retour à la vie active, Laure n’imagine pas reprendre son poste de commercial­e : elle rêve de se lancer dans la décoration d’intérieur ou l’art floral, qu’elle a découvert ici.
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« Les trois premiers mois, j’ai essayé tout ce qui me faisait envie : yoga, Pilates, méditation, tai-chi. […] Je ne sais pas comment j’aurais fait sans le centre. La maladie, ça isole énormément. »
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La première fois qu’elle a franchi les portes du centre Ressource, Laure a été soulagée : elle n’avait pas l’impression d’entrer dans un hôpital, plutôt dans le salon d’une maison accueillan­te.
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