Psychologies (France)

Sensuelle céramique

Tout le monde met la main à la pâte ! Et si, au- delà du plaisir de façonner nos propres créations, la poterie nous séduisait aussi parce qu’elle remodèle notre façon d’appréhende­r la vie ?

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Beauté rugueuse du grès, dont le grain accroche légèrement la main. Élégance translucid­e de la porcelaine, sur laquelle le doigt court sans rencontrer d’aspérités. Peu importe la famille à laquelle la pièce appartient, la céramique connaît un succès sans précédent : elle habille les pages des magazines déco, celles des réseaux sociaux, et les cours où elle est enseignée ne désempliss­ent pas. Bien sûr, il y a notre attirance esthétique, mais dans cet engouement se joue également quelque chose de plus profond. Par le rapport à la matière qu’il instaure, par les qualités qu’il sollicite en nous, cet art nous invite à nous reconnecte­r à une certaine sagesse.

Retrouver ses sensations d’enfance

Au commenceme­nt, il y a une simple balle de terre qui rappelle inévitable­ment nos premières années. « Je compare cela à de la pâte à modeler », résume la céramiste Julie Bergeron ( julieberge­ron.fr). « Il est vrai qu’à première vue mon métier ne fait pas très sérieux ! » Cette pratique nous invite naturellem­ent à convoquer notre enfant intérieur. Nous jubilons devant nos vêtements tachés par la terre, comme lors de nos premières sessions de peinture. Les mains mouillées s’amusent quand la matière mouvante du tour de poterie chatouille notre épiderme. Selon nos envies, la balle de terre s’étire, s’allonge, se marque de l’empreinte de nos ongles. Du bout des doigts, la céramique nous permet de renouer avec l’enfant que nous étions, plein de confiance en ses capacités. Et qui, avec un simple morceau de terre, avait le sentiment de tenir le monde entre ses mains.

Goûter le temps différemme­nt

« Je me dis souvent que je suis une des rares personnes, au sein d’une société occidental­e, à vivre de gestes ancestraux », résume la céramiste Alice Toumit (alicetoumi­t.com). Parce qu’il nous permet de renouer avec une pratique millénaire, cet art brouille les frontières temporelle­s. Sans outils, nous créons, comme d’autres avant nous. Pour celui qui choisit le modelage – monter une pièce à la main, pas au tour –, le temps se dilate. Alice Toumit explique éprouver à la fois un « sentiment de pause et de frénésie » quand elle travaille : « Les idées se bousculent, puis la répétition des gestes m’installe dans une sorte de douce transe. Dans ces moments-là, la radio peut être allumée, je ne l’entends même pas… » Au temps méditatif de la création succède celui du séchage et

Se centrer et engager son corps

Les mains ne sont pas seules à travailler. Assise devant son tour, la céramiste Anne Berthelot (anneberthe­lot.com) a besoin de mobiliser tout son être : « Pour me lancer dans la réalisatio­n d’une pièce, je dois me sentir centrée, dans ma tête comme dans mon ventre. Comme si mon corps était un prolongeme­nt de mon tour. Même ma respiratio­n doit s’accorder à ce que je fais, pour ne pas laisser la vitesse du tour prendre le dessus. » Être installé en soi, contrôler son mouvement tout en éprouvant la sensualité de la terre mouillée… La céramique nous invite à nous « rassembler » et, donc, à cesser d’avoir un rapport morcelé à notre personne. On apprend ainsi à mieux investir notre corps, pleinement, en prenant conscience de toutes les possibilit­és qu’il nous offre. Notamment celle de devenir créateur. de la cuisson : nous renouons alors avec la notion de patience. Dans un monde du « tout, tout de suite », le plaisir de l’attente retrouve sa place et son sens.

Se laisser séduire par les imperfecti­ons

Les arbres, pièces maîtresses du travail de Julie Bergeron, sont nés… d’une erreur. Les incidents parsèment le parcours du céramiste. Une bulle d’air vient faire exploser les pièces du four ; un émail se révèle différent après la cuisson. L’enjeu est alors de transcende­r ces accidents. « Une cassure peut devenir une dentelle ; un émail qui a coulé, révéler un motif original », énumère Anne Berthelot. Nous apprenons à apprécier l’imprévu. Une leçon qui se transpose parfois dans notre existence. « La création m’a appris à prendre sur moi, souligne Alice Toumit. Désormais, j’accepte les choses telles qu’elles sont. Je sais passer à autre chose pour mieux rebondir. Et recommence­r. »

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