Psychologies (France)

Qu’est-ce que je vaux ?

Parce que notre relation à l’argent dit aussi la valeur que nous nous accordons, Catherine Oberlé, gestalt-thérapeute, fondatrice de l’Académie du féminin, propose un stage intitulé “L’argent au féminin”. L’objectif : aider les femmes à s’accomplir. Notre

- Par Cécile Guéret

Nous sommes cinq participan­tes assises sur les coussins d’une maison bruxellois­es. Cinq femmes d’âges, d’univers et de métiers différents, venues interroger nos blocages, représenta­tions et croyances liés à l’argent, avec la coach et gestalt-thérapeute Catherine Oberlé. « Merci et bravo d’être ici, commence-t-elle. L’objectif de ce stage est de nous sentir plus libres, plus tranquille­s dans notre rapport à l’argent. De comprendre de quelle manière il peut être un soutien à notre évolution et nous permettre de nous connecter à notre puissance de femme. C’est encore un sujet tabou, surtout au féminin. Plus nous serons nombreuses à en discuter, plus les femmes pourront s’accomplir, oser prendre la place et la rémunérati­on qui leur reviennent. » Alors que l’envie de faire ce stage me taraudait depuis des mois, j’ai tout à coup l’impression d’être une fillette jetée dans le monde des adultes. Comme si les mots « argent », « puissance » ne me concernaie­nt pas. Les autres ont-elles plus confiance en elles ?

Pour nous présenter, nous tirons chacune une carte d’un jeu sur la féminité1. Je tombe sur la « visionnair­e ».

Rien à voir avec moi ! Je suis bien trop anxieuse pour avoir la moindre vision d’avenir ! Je reluque avec envie celle de ma voisine : la « liberté ». Marie, 50 ans, sophrologu­e, aimerait en effet développer son activité, aller plus facilement vers l’autre pour se vendre. Julie, 37 ans, architecte, est la « joueuse » : « Mais non ! C’est sérieux l’argent, on ne joue pas avec ! Si je le dilapide, que va-t-il me rester ? » s’interroge-t-elle, assaillie par l’angoisse. Safia, 40 ans, couverte de bijoux et de voiles colorés, se reconnaît parfaiteme­nt dans la « mystérieus­e ». Gérante de son propre magasin d’herboriste­rie, elle voudrait gagner plus pour pouvoir se rémunérer et embaucher. D’un an son aînée, son amie Amina, prof, montre sa carte des « forces du jour et de la nuit » : « Formée à la psychothér­apie, j’hésite à sortir du salariat. Je suis divorcée, j’ai deux enfants à charge… et mon ex-mari m’a toujours accusée d’être un panier percé. »

Nous plaçons chacune devant nous cinquante euros. En liquide.

« Quand une phrase résonne en vous, qu’elle vous semble précieuse, vous pouvez remercier son auteure en lui donnant de l’argent », annonce Catherine Oberlé. Après une « méditation des quatre directions », dansée, nous dessinons chacune notre relation à l’argent. Je fais une ligne de boucles bleues, flottant au milieu de larges taches de couleur : du jaune pour le bon que l’argent me permet d’avoir (une jolie maison, des vacances en forêt…), du noir pour les moments de galère. Chacune notre tour, nous expliquons notre dessin. Catherine me propose de le retourner. Non, ça ne va pas : les boucles, vers le bas, semblent recroquevi­llées sous un gros nuage d’orage. Je les préfère dans l’autre sens, élancées, joyeuses, vivantes. C’est évident : m’offrir du bon me ressource, m’aide à être créative et à mieux travailler. Ma relation à l’argent se nourrit de bonheur, d’amour, de douceur et de nature, si possible à perte de vue. « Être visionnair­e, c’est aussi voir l’horizon », note justement Safia, à qui je tends un billet. Pour moi qui ai la croyance bien ancrée que l’argent doit se gagner dans la douleur, c’est une douce révélation.

Catherine montre un billet : « L’argent n’est pas forcément sale. Tout dépend de l’utilisatio­n qu’on en fait.

Bien dépensé, bien redistribu­é, il est au service de tout le monde. Regardez ces vingt euros : dans combien de mains de jeunes, de vieux, de pauvres, de riches, sont-ils passés ? Ils ont circulé, ils ont fait que des gens se sont regardés et parlé. » Safia lui donne

à son tour vingt euros : « Pour l’argent comme lien social. » Je réalise comme j’aime lorsque mes patients me payent. Comme cette reconnaiss­ance du chemin parcouru ensemble en thérapie, de la relation qui nous lie, mais aussi de mes compétence­s singulière­s et de ma contributi­on à bâtir un monde meilleur, m’est précieuse. Julie me donne dix euros, prenant conscience de son exaltation quand elle fait une facture. Avant de se reprendre aussitôt, amusée : « Oh là là, mais ce n’est pas bien d’y prendre du plaisir ! » Marie voudrait me donner des sous, mais elle a déjà cédé son billet de cinquante à Catherine. « Amina, tu me prêtes dix ? » Nous rions avec elle de son endettemen­t précoce, de notre envie de l’aider, partagée avec celle d’attendre qu’elle « mérite » cet argent. « Je ne me sens pas valable, pas intéressan­te », lâche-t-elle… récoltant ainsi plein de sous pour « le lien entre l’argent et l’estime de soi ».

Autour de nos dessins, nous évoquons comment nos modèles familiaux nous ont modelées.

Nos parents étaientils dépensiers, économes, cachottier­s, angoissés ? Grâce à Safia, très pratiquant­e, nous évoquons les croyances culturelle­s et religieuse­s sur l’argent. Avec Amina, les rapports de pouvoir dans le couple : qui tient les cordons de la bourse ? Qui gagne de l’argent pour le ménage ? Quelle indépendan­ce donne l’argent ? Et quel modèle donnons-nous, à notre tour, à nos enfants ? Nous discutons autour de la liberté et de la contrainte dans le salariat, de la sécurité que donne l’argent, de l’agrippemen­t et du lâcherpris­e, de notre solitude et de nos réseaux de soutien, de notre responsabi­lité de ne pas demander plus, de notre crainte d’être illégitime, de la différence entre « se » vendre et tarifer un service… Julie raconte l’anecdote d’un client qui voulait discuter les prix « comme avec les filles de joie », a-t-il dit. Vient ainsi la question de ce qui est monnayable et de ce qui ne l’est pas. Le respect de l’autre, l’attention portée à son épouse, le plaisir du moment partagé avec un client… Est-ce soluble dans l’argent ? Certaines interrogat­ions sont profondes, identitair­es : qui suis-je en restant petite, en n’osant ni trop apparaître ni trop m’accomplir ? Qui suis-je si j’ose croire en moi, assumer ma valeur et ma puissance ? Si je demande plus d’argent, si je suis fière de ma réussite ? D’autres sont très concrètes : combien as-tu investi dans ta formation, dans ton stock ? Quels frais as-tu encore aujourd’hui ? Combien veux-tu gagner par mois ?

Catherine souligne nos croyances, nos contradict­ions, nos mouvements corporels.

Invitant par exemple Safia à exprimer comment elle se sent lorsqu’elle parle de baisser les prix pour être accessible à tous. « Je suis coupée en deux », répond l’herboriste, qui se redresse lorsqu’elle évoque la fierté d’avoir ouvert son magasin. Nous échangeons ainsi pendant deux jours, autour de nos dessins et des bribes de nos vies qui émergent. Dans les larmes, les rires, le bruit des billets et des remercieme­nts qui s’échangent. Je goûte avec bonheur ce moment d’intimité avec d’autres femmes. Quelle chance de pouvoir parler d’argent sans crainte d’être jugée ! Les heures passent, avec la sensation que quelque chose de très profond se travaille, se répare, s’ajuste, pour chacune d’entre nous.

Le dimanche, après une visualisat­ion guidée, Catherine nous propose de nous dessiner une fois notre objectif atteint.

Je me représente en Shiva, avec autant de bras que d’activités ( journalist­e, psy, animatrice de stages, intervenan­te à la radio, et tant d’autres envies !), une immense étoile de bonheur sur le coeur, au milieu d’un jardin plein de fleurs. Présentant mon futur à mes camarades, je me sens me redresser, respirer plus amplement, gagnée par la joie et la confiance. « Quel petit pas pourrais-tu faire ces prochains jours pour avancer sur ce chemin ? » me demande Catherine. Augmenter un peu mon tarif de consultati­ons ; demander une revalorisa­tion de mon salaire. Réfléchir à ce qui me semblerait être ma juste valeur et ma juste place profession­nelle. Mais aussi mettre plus de beau dans ma vie, chérir cette ressource, ce terreau de confiance, dont j’ai besoin pour rayonner comme Shiva. Le lundi, en plantant un rosier sur ma terrasse, m’est aussi venue l’envie d’oser rêver plus grand. Et de laisser advenir, tranquille­ment, l’avenir et ses grandes étendues colorées.

1. Coffret Féminitude de Monique Grande ( livre + cartes, Le Souffle d’or). Pour des raisons de confidenti­alité, les prénoms ont été modifiés.

Qui suis-je en n’osant ni trop apparaître ni trop m’accomplir ? Qui suis-je si j’ose assumer ma valeur et ma puissance ?

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