Psychologies (France)

Trouver sa puissance

Je peux le faire, j’en ai le droit, je le mérite ! Faut-il avoir une confiance en soi à toute épreuve pour réaliser ses envies ? Pas si sûr. Il s’agit surtout de retrouver une capacité d’action en déjouant les représenta­tions qui nous font sous- estimer n

- Par Laurence Lemoine

“On peut améliorer des choses dans sa vie dès maintenant, même en doutant de soi” Chine Lanzmann, coach

Vous initier à la sculpture, planifier un beau voyage, vous installer à votre compte… Ce ne sont pas les idées qui vous manquent en cette rentrée. Mais leur concrétisa­tion est entravée par cette petite voix qui vous dit que ce n’est pas pour vous, que vous n’en êtes pas capable, un jour peut-être, mais pas maintenant. « Croire qu’il faut avoir confiance en soi avant de pouvoir mener ses projets à bien, c’est un peu mettre la charrue avant les boeufs, assure Chine Lanzmann1, coach. Et cela nous condamne à toujours remettre à plus tard ce qui nous épanouirai­t vraiment. En réalité, on peut améliorer des choses dans sa vie dès maintenant, même en doutant de soi. » Comment replacer les boeufs devant ? Les suggestion­s de nos experts, à vous approprier.

IDENTIFIER SES VRAIS BESOINS

D’abord, en affirmant ses envies. La clientèle de Chine Lanzmann est composée, pour beaucoup, de femmes de 35- 40 ans, frustrées dans leur vie profession­nelle parce qu’elles abattent le boulot de trois personnes. « Elles viennent me voir avec un objectif valorisé par l’époque (créer une appli, ouvrir un local bio, devenir naturopath­e…), et ne comprennen­t pas pourquoi elles n’osent pas franchir le pas », remarque-t-elle. L’une d’elles, maman depuis peu, aspire par exemple à quitter son emploi salarié pour créer un lieu d’accueil parents-enfants, qui lui permettrai­t de passer plus de temps avec son bébé. Son compagnon est au chômage, c’est elle qui assure la subsistanc­e du foyer. Elle s’en veut : « Je me réfugie derrière le prétexte de l’argent, mais si j’avais plus d’audace, je trouverais les moyens ! » « La culture start-up met tout le monde en difficulté, commente la coach. Elle nous pousse à croire que rien n’a plus de valeur que de créer sa boîte. Mais tout le monde n’est pas fait pour ça ! » Loin d’encourager ses clients à foncer, elle pousse l’investigat­ion : de quoi est faite leur insécurité au moment de passer à l’action ? « Le manque de confiance n’est pas forcément un

problème, indique-t-elle. Il traduit même une bonne estimation de la situation. En creusant un peu, on s’aperçoit que ce n’est pas le bon moment, que le projet est trop risqué ou ne correspond pas à ce dont on a vraiment besoin. » Cette jeune femme, par exemple, aurait précarisé sa famille à un moment où elle avait au contraire besoin de sécurité matérielle et de temps. En mettant au jour ses besoins concrets, le coaching lui a permis d’y répondre par d’autres moyens. Elle a demandé à être déchargée de certains dossiers, à être assistée par une stagiaire, à pouvoir travailler chez elle de temps à autre. « On n’est pas obligé de tout quitter et tout recommence­r pour se créer une vie plus conforme à ses envies, affirme Chine Lanzmann. Souvent, quelques aménagemen­ts suffisent à nous sortir de l’impuissanc­e. » Un bon début.

SE LIBÉRER DES PENSÉES INUTILES

« OK, pensez-vous, mais je suis nul, velléitair­e, incompéten­t, je n’y arriverai jamais. » C’est à ces représenta­tions négatives que s’intéresse la thérapie d’acceptatio­n et d’engagement (ou ACT, pour accep

tance and commitment therapy). « À partir de l’observatio­n de nos comporteme­nts, nous nous imaginons structurés d’une certaine façon, explique Jean-Louis Monestès2, psychologu­e, chercheur et formateur ACT. Et nous nous enfermons dans des catégories qui deviennent des prophéties autoréalis­atrices. » Exemple : par le passé, j’ai commencé de nombreux projets que je n’ai jamais menés à leur terme ( j’ai pris trois cours de chant, puis plus rien) ; j’en déduis que je ne suis pas persévéran­t, et cette image de moi justifie désormais que je ne cherche pas à concrétise­r mes envies. « Mais vous n’êtes pas obligé de croire tout ce que vous pensez ! aime à dire le thérapeute. Lorsque vous recevez un prospectus publicitai­re, vous ne prenez pas tout ce que l’on veut vous faire croire pour argent comptant. Vous pouvez exercer le même esprit critique à propos de vos pensées. » Tandis que certaines thérapies s’attachent à modifier nos représenta­tions pour nous aider à changer nos comporteme­nts, l’ACT suggère que nous pouvons aussi faire l’inverse : modifier nos comporteme­nts pour nous percevoir autrement. La charrue et les boeufs… « La question n’est pas tant de savoir si ce que je pense de moi est vrai ou non ( je n’ai pas été persévéran­t jusque-là, c’est un fait), mais si mes pensées me sont utiles ou pas, indique Jean-Louis Monestès. En l’occurrence, affirmer que je ne suis pas persévéran­t ne m’est d’aucune utilité pour changer. Pour trouver ma puissance, je peux déjà considérer que je ne suis pas condamné à reproduire les mêmes comporteme­nts. »

“Vous n’êtes pas obligé de croire tout ce que vous pensez ! Exercez votre esprit critique” Jean-Louis Monestès, psychologu­e

PASSER DE L’IMAGINATIO­N À L’ACTION

Paul Diel3 est le théoricien de la psychologi­e de la motivation. Il considérai­t que nous sommes mus par un besoin essentiel, le besoin d’estime, que nous cherchons à satisfaire par l’imaginatio­n et/ou par l’action. « Les problèmes surgissent lorsque l’imaginatio­n prend le dessus sur l’action au lieu de la servir, c’est-à- dire lorsque nous imaginons notre désir déjà réalisé (nous nous complaison­s dans des rêveries grandioses) ou irréalisab­le (nous nous sous-estimons) », observe la psychologu­e Maridjo Graner4, qui s’est formée avec lui. Dans les deux cas, rien ne se passe dans la réalité, et celle-ci devient de plus en plus décevante. Nous sommes alors d’autant plus tentés de la fuir dans des satisfacti­ons imaginaire­s, au risque de devenir aigris ou anxieux. Plus intéressan­t encore, Paul Diel soupçonnai­t qu’il existait, derrière une affirmatio­n comme « Si je n’y arrive pas, c’est peut-être parce que je ne suis pas assez motivé », ce qu’il appelait une « tâche exaltée », un projet destiné à nous consoler d’un manque de reconnaiss­ance : « Je vais faire telle chose, et ils verront bien comme je suis génial ! » Nourrir de tels fantasmes peut nous porter un temps, mais nous condamne à ne jamais avoir envie de rien, car rien n’est jamais susceptibl­e de nous satisfaire. Entre la vanité ( je peux tout réussir) et l’inhibition ( je ne suis capable de rien), notre puissance s’enracine dans le fait d’admettre que nous ne pouvons pas savoir, a priori, si nous allons réussir ou échouer, et de nous en remettre à l’expérience. « Car le chemin se crée en marchant, encourage Maridjo Graner. Poser un premier pas en direction de nos envies nous permet de prendre la mesure de ce qui dépend de nous ou pas, de découvrir que la réalité et les autres peuvent nous ouvrir des portes, que nous avons la capacité de changer ce qui peut être changé et de faire malgré ou avec ce qui ne peut pas l’être. »

1. Chine Lanzmann, auteure de Guide de l’auto- coaching pour les femmes ( Pearson). 2. Jean-Louis Monestès, auteur de Libéré de soi ! Se réinventer au fil des jours (Armand Colin). 3. Paul Diel (1893-1972), auteur de Psychologi­e de la motivation ( Payot). 4. Maridjo Graner, auteure de Mieux comprendre nos comporteme­nts, regards sur nos raisons et déraisons d’agir (Chronique sociale).

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