Psychologies (France)

De la maltraitan­ce à la résilience

Parce qu’elle parle de notre humanité envers les êtres faibles, la souffrance animale nous touche de plus en plus. Découvrez l’incroyable histoire de ces lévriers mal-aimés revenus de l’enfer.

- Par Isabelle Taubes – Photos Mathias de Lattre

Un chien installé dans un fauteuil, trônant dans un salon, couché sur un lit moelleux, rien de plus banal. À ceci près que les modèles choisis par le photograph­e Mathias de Lattre, des lévriers ibériques de races galgo et podenco, sont des symboles de la condition animale dans ce qu’elle a d’injuste, d’intolérabl­e. Discrets, réservés, ils nous rappellent par leur élégance qu’ils furent autrefois les compagnons des rois, des puissants. L’histoire de l’art les a d’ailleurs souvent représenté­s à leurs côtés, partageant leurs châteaux.

Mais tout bascule au XVIIIe siècle. En Espagne, avec l’assoupliss­ement des lois sur la chasse, ces aristocrat­es canins tombent de leur piédestal. Le lévrier accompagne désormais les chasseurs et les Gitans. Perdant ses privilèges, il devient aussitôt un malaimé, un moins-que-rien sacrifié dès que ses performanc­es à la course ou à la chasse déçoivent. Pour laver son honneur, son propriétai­re n’hésite pas à mutiler l’animal en lui brisant les membres, à le tuer d’horrible manière – la plus répandue étant la pendaison. Aujourd’hui encore, c’est l’usage, même si la loi l’interdit. Des milliers de lévriers sont abandonnés ou éliminés chaque année après la saison de la chasse.

“Tous les jours Treblinka”

Ceux qui posent ici sont des rescapés. S’ils pouvaient parler, ils raconterai­ent la cruauté des hommes, leur goût du sang et du malheur. Aucun jugement dans ces regards doux : pourtant, ils nous rappellent que l’être humain manque curieuseme­nt de gratitude dans sa relation aux mammifères qui le protègent, le nourrissen­t et l’aiment d’un amour inconditio­nnel. « Pour les animaux, c’est tous les jours Treblinka », assurait l’écrivain juif d’origine polonaise Isaac Bashevis Singer, prix Nobel de littératur­e en 1978. Et le fait est que ces lévriers ont passé leurs premières années dans des conditions de détention concentrat­ionnaires, affamés et frap- pés. Quel avenir pour ces anciens martyrs ? Peut-on parler de résilience chez le chien ? La plupart des vétérinair­es comporteme­ntalistes sont de cet avis. La rencontre avec des « tuteurs de résilience », des humains capables de leur offrir enfin sécurité et affection, peut redonner le goût de vivre à ces animaux maltraités. Les retrouver dans des intérieurs qui respirent le calme et l’aisance sonne comme une revanche pour les amis des bêtes.

Il se pourrait bien que la protection animale soit l’une des grandes causes du XXIe siècle. De plus en plus de personnali­tés, philosophe­s, juristes, se mobilisent pour elle. Pour certains, cette mobilisati­on est futile : « Pourquoi pleurer sur des bêtes quand tant d’enfants meurent chaque jour ? » Comme s’il y avait là une contradict­ion… Mais, pour beaucoup, elle signifie un progrès dans notre processus d’humanisati­on, d’élévation morale et spirituell­e. Comme pour Mathias de Lattre, qui rend hommage aux lévriers maltraités en nous faisant partager quelques moments de complicité avec eux en images.

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