LA PREMIÈRE SÉANCE
« Dois-je révéler à ma famille que j’ai été abusée enfant ? »
Face au psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger, un lecteur ou une lectrice s’interroge sur la nécessité de suivre une psychothérapie. Ce mois-ci : Claudia, 32 ans.
“Je viens d’une famille italienne assez pauvre, avec un père peu responsable et une mère qui nous a élevés quasiment seule, mes frères et moi, raconte Claudia. Je vis en France depuis douze ans, mariée à un Français rencontré en Italie quand j’en avais 18 et lui 40. Je me souviens que cette différence d’âge me posait problème, je me demandais ce qu’elle signifiait chez moi. — Vous savez, lui répond Robert Neuburger, aux gens qui disent qu’une femme recherche un père lorsqu’elle est en couple avec un homme plus âgé, je dis toujours : “Et celle qui épouse un homme de son âge, recherche-t-elle un frère ? ” — D’autant que Gilles est l’exact opposé de mon père. C’est un homme très responsable et fiable. Mais cette différence d’âge me faisait craindre d’être attirée par des hommes plus âgés… — Pourquoi cette crainte ? — Pendant des années, j’ai vécu avec un terrible secret. J’ai été abusée sexuellement quand j’avais 6 ans, l’âge actuel de ma fi lle. Ça a été fait à plusieurs reprises, par un oncle. Pendant longtemps j’ai vécu dans le déni, me disant que j’imaginais ce qui s’était passé. J’ai à la fois des souvenirs précis et flous. Je me souviens que c’était sur le lit de mes parents, pendant qu’ils étaient au travail. Je me souviens que je savais que si je restais seule avec lui, quelque chose allait arriver, et je trouvais des prétextes pour essayer de retarder ce moment. Il me disait de ne rien dire à personne. Ce que j’ai fait jusqu’à 30 ans avec mes parents, mais j’en ai parlé à mon mari à 20 ans. — Combien de temps ces abus ont-ils duré ? — L’année de mes 6 ans. Ensuite, il a déménagé et s’est marié. On se voyait en famille, et je me rappelle que, devant lui, j’étais très mal à l’aise, j’avais honte. Cette histoire a resurgi au moment de la puberté : je ressentais le regard des hommes comme une agression. Mon adolescence a été difficile. J’avais des pensées suicidaires et j’étais absente. J’ai encore des moments où je me déconnecte complètement, puis je reviens dans la réalité. Quand Gilles m’a emmenée en France et épousée, j’ai commencé des études de lettres, mais sans arriver à rien car j’étais très perturbée. Gilles m’a beaucoup culpabilisée. Il me disait que j’avais la chance de vivre confortablement (il est ingénieur), de pouvoir faire des études, et que je passais à côté de ce que la vie m’off rait. — Où en êtes-vous aujourd’hui au niveau de votre couple ? — Eh bien, nous sommes toujours mariés… Quand j’ai eu ma fi lle, j’ai commencé une analyse, mais je n’étais pas du tout régulière dans mes rendez-vous. C’est pourtant à ce moment-là que, pour la première fois de ma vie, je me suis vue comme ayant été une enfant abusée. — Vous avez mis des mots sur ce qui vous était arrivé. — Voilà. Jusque-là, je pensais que c’était seulement une mauvaise rencontre qui ne m’avait pas plus touchée que ça. Mais j’ai fait des recherches sur les conséquences