Psychologies (France)

LE RÉCIT

« J’ai fait un bébé toute seule »

- Par Léa Lozère – Illustrati­ons Joe McDermott

« “IL ASSURE, LE PAPA !”

La sage-femme n’en revient pas et regarde, épatée, Tom quitter la salle de naissance avec Paolo dans les bras. Il fait absolument tout comme il faut, calmement, sereinemen­t, mais je le connais : il plane complèteme­nt, Tom. Moi, je flotte un peu. Et Paolo tète ses doigts. L’accoucheme­nt a duré quarante heures, et je nous décernerai­s bien une médaille, à tous les trois. Elle a raison, la sage-femme. Même si Tom, c’est mon ex. Et pas le papa. Ça, la sagefemme n’arrive pas à se le rentrer dans le crâne… Mais j’ai laissé tomber parce que moi non plus je n’en reviens pas : Paolo est là. Avec tous ses bras et toutes ses jambes. Je l’ai entendu tousser et j’ai enfin respiré. Je l’ai tenu tout contre moi, sa peau, ma peau, son coeur qui bat et le mien qui part en vrille… OK. Donc, j’ai fait ça : un bébé. Toute seule.

Douze mois plus tôt, c’était une vague idée. Une drôle d’idée. Une chanson de Goldman qu’on m’a chantée en boucle – sans aucune pitié pour mes oreilles. D’ailleurs, quitte à combler l’attente, on m’avait prédit le pire : j’allais mettre au moins un an avant de tomber enceinte, passer les trois premiers mois la tête dans les toilettes et/ou dans l’angoisse de la fausse couche, vivre la suite sous haute surveillan­ce médicale. Alors tu parles d’une rigolade : en même temps, ma petite, vouloir devenir mère à 39 ans et célibatair­e, tu te compliques sacrément la vie, faut dire. Certes. Dans l’idée.

En pratique, j’ai eu la grossesse joyeuse. À quelques secondes près, pour être honnête. Au moment où, visitant la maternité au milieu d’une dizaine de couples, j’ai entendu cette petite voix dans ma tête : “Mais pourquoi t’es toute seule, toi ? Parce que personne ne t’aime, tu crois ? ” Mes dialogues internes étant aussi vifs que rapides, je me suis

aussitôt cloué le bec : “Parce que tu l’as choisi, tu te souviens ? ” Personne ne m’a quittée, personne n’est mort : ça fait toute la différence. La solitude n’est plus psychique et douloureus­e, elle est matérielle. Point. Le reste s’appelle le désir d’enfant, et ça, oui, c’est joyeux.

Neuf mois plus tard, quand Paolo est né, j’en ai été doublement convaincue. Je ne compte plus le nombre d’amies, devenues mères, en couple, à m’avoir soufflé entre leurs dents un : “Toi, au moins, dès le départ, tu sais que tu es seule.” Le débat sur la charge mentale n’avait pas encore eu lieu, mais les statistiqu­es étaient déjà connues : même en couple, les femmes assument l’essentiel de la charge éducative. Et ce, dès la sortie de la maternité. Alors moi aussi, j’allais pouvoir y arriver. Quand Paolo et Tom sont revenus dans la salle de naissance, à les regarder tous les deux, l’évidence m’a fait sourire : oui, il assure, ton parrain.

“MAIS ELLE N’A PAS ÉTÉ CAPABLE DE TROUVER UN MEC ?”

Celle-là, on me l’a rapportée. Mais j’aurais pu la deviner, tant elle se lisait dans les yeux de celui qui l’a prononcée, la première fois qu’il m’a vue arriver avec Paolo dans la poussette. C’était le mec d’une copine. Elle s’est chargée de lui remettre les idées à l’endroit : non, je ne cachais pas une quelconque tare congénital­e qui m’aurait empêchée de trouver le père de mes enfants. Oui, parfois, les planètes s’alignent de telle sorte qu’on peut se retrouver sans couple digne de ce nom au moment où cette satanée horloge biologique commence à se faire entendre. Alors, oui, plutôt que de faire un enfant avec le premier venu dont je me serais racontée (ou pas) que j’étais amoureuse, j’ai préféré me débrouille­r toute seule comme une grande. Et je me suis fait inséminer à Londres,

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