Psychologies (France)

Analyse

Pourquoi ça devient compliqué

- Par Laurence Lemoine

“C’est arrivé soudaineme­nt, il y a près d’un an, écrit Jérôme Colin dans son récent roman, Le Champ de bataille (Allary éditions). On avait embrassé notre petit garçon. On lui avait dit “Allez, bonne nuit. Dors bien”, avant de refermer délicateme­nt la porte. » Le lendemain, au petit déjeuner, « il est entré dans la pièce en soufflant. Il s’est assis sans dire bonjour. […] Il a dit à sa petite soeur qu’elle était moche. Il a englouti quatre tartines au chocolat. Il a dit : “Cet après-midi, je vais en ville avec des copains.” On lui a dit non. Il a fait “Pffff…” […] Il a traîné les pieds jusqu’à la salle de bains. Et il a claqué la porte. Cette nuit-là, notre petit garçon avait été dévoré par le monstre. » Que s’estil passé ? « Vous avez semé un bébé et récolté une bombe. » Cette célèbre phrase du pédopsychi­atre Donald W. Winnicott (1896-1971) cristallis­e les inquiétude­s des parents. En réalité, celui-ci portait sur l’adolescenc­e un regard plein d’empathie. Car de ce processus si particulie­r, « il subsiste, affirmait-il, quelque chose à tout âge » : les crises suscitées par la transforma­tion de notre corps (avec la maternité, le vieillisse­ment) nous obligent à une réorganisa­tion psychique qui ne se vit pas sans remous. D’après lui, le principal problème était le suivant : « Comment être adolescent au moment de l’adolescenc­e ? C’est extrêmemen­t difficile pour quiconque1. » ENTRE ERRANCE ET MÉTAMORPHO­SE Pic de croissance, bombardeme­nt hormonal, montagnes russes émotionnel­les, la mue vertigineu­se que connaissen­t nos enfants est décrite avec une drôlerie réconforta­nte dans un petit dessin animé de la série Tu mourras moins bête (de Marion Montaigne, sur YouTube et Arte) : « Pourquoi les

ados sont-ils si mous ? » Leur maladresse, leur nonchalanc­e, leurs sautes d’humeur, leur hypersomni­e, tous ces traits que nous, parents désorienté­s, cherchons à corriger pour les aider à se construire, y sont expliqués physiologi­quement par l’inachèveme­nt de leur cervelet et de leur lobe frontal, et par l’intensité du processus pubertaire. Sur un plan plus existentie­l, « l’adolescenc­e se situe entre l’errance et la métamorpho­se », explique le psychanaly­ste Olivier Douville2. Errance, parce que toutes les explicatio­ns, bricolées de manière consciente ou inconscien­te par l’enfant qu’il était pour comprendre le monde, ne parviennen­t plus à rendre compte de ce qu’il vit ; métamorpho­se – à entendre dans « l’épaisseur mythologiq­ue du terme, indique-t-il, comme le passage dans plusieurs corps » – parce qu’il lui faut alors « donner de nouvelles orientatio­ns à sa structure subjective ». Au coeur de cette expérience de dépersonna­lisation se trouve, pour le jeune garçon comme pour la jeune fille, la fascinatio­n obsédante pour l’autre sexe. L’un comme l’autre « éprouve directemen­t, concrèteme­nt dans sa chair, qu’une rencontre, avec son potentiel confus, entremêlé, de captation, d’effroi et de ravissemen­t, peut entraîner une métamorpho­se de son être au risque qu’il ne se reconnaiss­e plus », écrit Olivier Douville.

DES CÂLINS AUX CRITIQUES

Le « pot au noir » ( Winnicott), le « complexe du homard » (Françoise Dolto), les pédopsychi­atres ont conceptual­isé, chacun à leur façon, cet entre-deux extrêmemen­t vulnérable dans lequel se trouvent les adolescent­s : « Une phase où ils se sentent futiles car ils ne se sont pas encore trouvés », où ils luttent pour « se sentir réels », décrivait le premier ; un moment où l’enfant se défait d’une carapace devenue trop étroite pour en acquérir une autre, suggérait la

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