Psychologies (France)

Échapper à la radicalisa­tion

- Par Laurence Lemoine

Comment repérer les profils à risque et les protéger de la tentation du djihad ?

Serge Hefez, psychiatre et psychanaly­ste, nous livre son expertise.

Selon un récent rapport1, les 15-21 ans constituen­t la tranche d’âge la plus touchée par la tentation du djihad. Parmi eux, 80 % sont issus de familles athées de cultures diverses, 84 % des classes moyennes ou supérieure­s. Ils ont, précise l’enquête, « un passé de délinquant quasi inexistant, mais des fragilités psychologi­ques ». Serge Hefez, psychiatre, psychanaly­ste et thérapeute familiale, dirige une consultati­on de déradicali­sation à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrièr­e à Paris. Il explique : « L’adolescenc­e est une période radicale par essence. Les jeunes sont à la fois en quête de sens et de sensations fortes. Ils apprennent à se séparer de leurs familles et, pour y parvenir, aspirent à des engagement­s forts, cherchent à s’affilier à d’autres groupes, au risque de tomber entre les mauvaises mains. » Dans cette quête d’autonomisa­tion, ils peuvent avoir besoin de contenir leur angoisse dans des règles strictes, des doctrines qui annihilent le doute. L’adolescenc­e est également la période des conduites ordaliques, « certains jeunes ont besoin de prendre des risques pour mettre leur vie en jeu et la mort au défi ». Selon le psychiatre, il n’existe pas de profil type du jeune radicalisé, parce qu’ils ont des motifs très variés : « Il y a, d’un côté, des ados très exaltés, des “Mère Teresa” et “Richard Coeur de Lion”, qui veulent sauver des enfants et changer le monde. D’un autre, des profils plus mélancoliq­ues : des gamins qui se sont toujours sentis différents, incompris, en quête de reconnaiss­ance. Mais aussi quelques délinquant­s attirés par le sang et la guerre ; des jeunes au vécu d’exclusion, à qui l’on promet une maison, de l’argent, la gloire. Ou encore des “Belle au bois dormant” qui tombent amoureuses d’un prince barbu, et épousent une cause qui n’était pas la leur. Parfois, l’homme n’est qu’un hameçon sur le Net, une identité virtuelle, il n’existe même pas… »

Garder le contact

« Les indicateur­s de rupture, d’avec le groupe d’amis, l’école, la famille, doivent inquiéter, indique le psychiatre. Et surtout leur cumul. Tout comme les manifestat­ions religieuse­s qui paraissent extrémiste­s » : notamment une adhésion aux thèses salafistes dans une famille modérée, une conversion, des choix d’habillemen­t, une alimentati­on différente, une pratique accrue. « Mais ces signes sont toujours à interroger, prévient Serge Hefez. Une jeune fille qui se voile peut aussi être en prise avec une problémati­que de transforma­tion du corps, dans un milieu où le regard des hommes fait violence. » Interroger ces choix permet aux parents de tenter d’apporter des réponses différente­s. « Mais il arrive que ceux-ci ne voient rien, c’est même assez fréquent, avertit le psychiatre. Car l’embrigadem­ent passe essentiell­ement par Internet, par des gens que les jeunes ne rencontren­t jamais et qui leur donnent des directives de discrétion. » Comment les protéger ? « Comme toujours : garder le contact, ne pas laisser la distance s’installer, recommande-t-il. Il faut discuter avec eux, parler de tout, du sens de la vie, de ce qui a de la valeur. Tout en respectant leurs individual­ités et leur besoin d’autonomie. Ne jamais les lâcher. »

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