« Je n’arrive pas à contrôler mon émotivité »
Face au psychiatre et psychanalyste Robert Neuburger, un lecteur ou une lectrice s’interroge sur la nécessité de suivre une psychothérapie. Ce mois- ci : Alba, 36 ans.
J’ai du mal à gérer mes émotions. Dès que je ressens un stress, les larmes me viennent, confie Alba. Dans le travail, ça peut être problématique, notamment dans les entretiens. — Avez-vous d’autres soucis en dehors de celui-là ? lui demande Robert Neuburger. — Non, le reste, je l’ai réglé. Plus jeune, j’étais très réservée et je ne le suis plus. J’ai eu une mère qui ne me donnait pas le choix : je disais oui à tout ce qu’elle attendait. À 10 ans, j’ai été placée dans un foyer à cause d’une carence éducative : ma mère ne nous mettait pas à l’école. J’y suis restée jusqu’à 16 ans. — Viviez-vous seule avec votre mère ? — Non, avec un frère plus grand, mais sans présence paternelle. Je n’ai jamais connu mon père ; mon frère a un peu connu le sien. — Votre maman est-elle toujours en vie ? — Oui, mais c’est horrible à dire : c’est comme si j’en avais fait le deuil. Je vais la voir une fois par an. J’aurais aimé avoir une mère proche de son enfant, qui le pousse à réussir. Quand j’ai été placée, on m’a dit que j’avais des capacités, et j’ai d’ailleurs rattrapé mon retard de déscolarisation. Mais je lui en veux, car j’aurais pu aller plus loin, faire des études, avoir un choix de métiers. J’ai une frustration et de la tristesse par rapport à ça. — Comment cela s’est-il passé au foyer ? — Bien, parce qu’on apprend les bases normales d’une vie normale d’enfant. On va à l’école, on fait ses devoirs, on apprend les règles de vie quotidienne dans une famille lambda. Ça a été une rééducation. — Qu’avez-vous fait à 16 ans en quittant le foyer ? — J’ai passé deux ans chez ma mère à ne faire absolument rien. J’étais inscrite dans un lycée, mais je n’y allais pas. Je passais mon temps
devant la télé. C’est comme si j’avais fait un coma pendant deux ans. Et à 18 ans, je me suis réveillée, j’ai travaillé en contrat d’alternance, j’ai pu avoir un diplôme, gagner de l’argent, prendre un appartement. J’ai enchaîné, changé de boîte. Puis j’ai rencontré mon conjoint à 22 ans, réussi un BTS, et nous avons eu une fi lle qui a aujourd’hui 13 ans. — Elle va bien ? — Oui, elle réussit très bien et je veux lui donner tout ce que je n’ai pas eu. Je ne veux surtout pas être défaillante. — Que pense votre conjoint de votre sensibilité ? — Il dit qu’il voit une belle évolution positive. Mais quand je dois parler de moi, de ma vie, à chaque fois j’ai du mal. — Oui, j’ai vu vos larmes monter quand vous avez évoqué le fait que votre mère n’était pas, pour le moins, très attentive. C’est qu’il reste une blessure en vous, ancienne. Ne pensez-vous pas que c’est cette blessure qui est en cause dans votre émotivité ? — Oui, ce ne peut être que ça, car il n’y a rien d’autre… — Ce “que ça”, c’est déjà beaucoup… — Je suis quelqu’un de positif. Je me dis : “J’ai eu un parcours plus difficile que d’autres, mais j’ai réussi à atteindre les objectifs que je m’étais fi xés.” Quand j’ai réussi mon BTS, alors que je pensais avoir une histoire trop difficile pour y parvenir, j’étais fière de moi. Et en même temps, cela me faisait bizarre d’être fière de moi… — Vous avez un parcours plutôt exceptionnel, une volonté impressionnante… Vous avez franchi des obstacles qui ne sont pas évidents, comme le retard de votre scolarité. Votre adolescence chez votre maman entre 16 et 18 ans a été particulière. Ne réagissait-elle pas ? — Non, je crois que cela lui convenait. Je ne la comprends pas. — Quelle est son histoire à elle ? On ne devient pas ainsi par hasard. — Elle venait de province et s’est retrouvée à Paris sans famille, sans contacts. Elle se laissait vivre. Elle a eu beaucoup d’aides sociales. Ce n’était pas quelqu’un qui avait envie de réussir ni qu’on réussisse… — Avez-vous connu vos grandsparents maternels ? — Dans la petite enfance. On les voyait pendant les vacances, comme les oncles et tantes. Eux, ils avaient une vie normale. Ils ne savaient pas ce qu’on vivait, car ma mère ne disait pas qu’on n’allait pas à l’école. — Comment votre mère a-t-elle réagi à votre placement en foyer ? — Pour elle, ces gens se mêlaient de ce qui ne les regardait pas. Du moment qu’il n’y avait pas de violences physiques chez nous, elle ne voyait pas où était le problème. — C’est quand même curieux, chez cette femme qui ne sortait pas d’un milieu chaotique… Que s’est-il passé pour qu’elle se transforme en une personne à côté des normes ? A-t-elle quitté ses parents très jeune ? — Vers 20 ans, je crois… C’est vrai que je ne me suis jamais posé la question de savoir pourquoi elle est venue à Paris et a mené cette vie-là. Elle est si difficile à cerner, à comprendre… Quand je lui ai
“J’ai eu un parcours plus difficile que d’autres, mais j’ai réussi à atteindre les objectifs que je m’étais fixés” Alba
“Votre sensibilité vous honore. Tout ne peut pas être maîtrisé, et vous en faites le constat” Robert Neuburger
demandé pourquoi elle ne nous envoyait pas à l’école, elle m’a dit que pour elle ce n’était pas obligatoire, pas important. — Y avait-il d’autres problèmes que la scolarité, avec elle ? — Elle n’arrivait pas à gérer son budget, payer son loyer, faire attention à l’argent. — Vous savez, je pense que votre sensibilité vous honore. Tout ne peut pas être maîtrisé, et vous en faites le constat. Mais je trouve que votre mère est un personnage énigmatique, et qu’il est dommage que vous ne connaissiez pas son histoire parce que cela vous aiderait à comprendre pourquoi elle était ainsi. Incapable d’être mère. — C’est le mot. Quand j’essaie de la comprendre, je me dis qu’elle n’avait pas les capacités pour nous élever correctement. — Le sentiment que l’on a, c’est qu’elle est restée la fi lle de sa mère et n’est jamais passée au stade suivant. Comme si elle attendait toujours de sa mère quelque chose qui n’est pas venu. — Un jour, elle m’a dit que je pouvais consulter mon dossier auprès du juge des enfants pour comprendre un peu mon histoire. — Oui, parce qu’il y a eu une enquête sociale, une évaluation la concernant, et depuis votre majorité vous avez le droit de consulter ce dossier. Vraiment, je pense que ce ne serait pas une mauvaise idée. Car le comportement de votre maman reste mystérieux et, du même coup, blessant. En savoir un peu plus sur son histoire vous permettrait de transformer cette blessure en cicatrice. Après, je pense que ce ne serait pas mal aussi d’envisager une EMDR1, thérapie efficace dans les cas de traumatismes d’enfance. Vous avez des capacités exceptionnelles de résilience, et je crois qu’avec ces deux pistes vous pourrez enfin clore un dossier qui est resté ouvert, et dont votre émotivité est la trace. » 1. L’eye movement desensitization and reprocessing ( EMDR) s’appuie sur les mouvements oculaires et la stimulation sensorielle pour évacuer le souvenir douloureux et apaiser. Pour des raisons de confidentialité, le prénom et certaines informations personnelles ont été modifiés. Robert Neuburger est l’auteur de nombreux ouvrages. Dernier paru : Les Paroles perverses, les reconnaître, s’en défaire ( Payot, “Petite Bibliothèque”).
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