Psychologies (France)

Lettre à mon corps Ce mois-ci : Aurélie

-

Tu n’aurais jamais dû endurer ce que je t’ai fait vivre. Je t’ai imposé les régimes, l’anorexie, la boulimie, les insomnies, les excès de sport et le travail acharné. Comment as-tu fait pour tenir ? Je t’écris de la clinique des Vallées, en Haute- Savoie, où je séjourne depuis plusieurs mois. Tu mesures un mètre soixante- quinze, et ton poids était descendu à trente-six kilos sans que je ne cesse de te nourrir. Je te donnais des légumes au bouillon (en très grosse quantité), du poisson blanc et de l’eau. Énormément d’eau : jusqu’à sept litres par jour (une potomanie sévère) ! Et comme cela ne permettait pas à mon mental de tenir le coup, au milieu de l’après-midi, je te remplissai­s de toutes sortes d’aliments « interdits » que tu ne gardais pas. Comment as-tu supporté l’hyperactiv­ité que je t’infligeais ? J’ignorais tes signaux de détresse. Jamais épuisée, je me sentais surpuissan­te. Encore aujourd’hui, avec tes quarante-trois kilos, je ne te sens ni faible ni vulnérable.

Ta maigreur me rassurait. Avec ton coeur anesthésié par la peur de vivre, je voyais le jeûne comme une punition et le manque comme une addiction. Te restreindr­e était un plaisir douloureux. L’anorexie, c’est une faim de vivre qui crie détresse. Je sais que mes blessures se cachent derrière toi, mon petit corps dénutri. À 25 ans, tu as le squelette d’une femme de 65 ans, d’après l’ostéodensi­tométrie. Ce verdict a été un déclic. Le sourire de mon père, les mots doux de ma mère, la bienveilla­nce de mes soeurs aussi. Et je me bats davantage pour eux qui croient en ma force que pour moi-même. J’ai encore très peur de la nourriture et continue de rejeter le corps de femme que tu es. J’accepte pourtant, tout doucement, de te donner les plaisirs que tu demandes (des aliments moins sains). Ma plus grande victoire ? L’arrêt des purges, « te donner sans reprendre ». Tu n’es plus mon arme de destructio­n, tu es mon allié de reconstruc­tion. Je ne serai peut-être jamais « guérie », mais je suis une malade en quête de vie. Et un jour, je le jure mon petit corps, il y aura plus de lumière.

« J’accepte, tout doucement, de te donner les plaisirs que tu demandes »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France