QUESTION D’ACTU
À l’heure où le gouvernement souhaite encourager les jeunes à se lancer comme alternants, Jocelyne Ribière, de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, revient sur les freins périphériques à l’apprentissage qui peuvent les décourager et les faire décrocher.
Éviter le décrochage des alternants, par Jocelyne Ribière, coordinatrice du programme d’insertion à la Fondation des Apprentis d’Auteuil
Le décrochage en apprentissage est-il un phénomène important ?
Cela dépend des filières et le chiffre est toujours délicat à manier. Mais globalement, à Apprentis d’Auteuil comme pour le reste de la France, nous avons des statistiques de l’ordre de 25 % de décrocheurs. En revanche, en ce qui nous concerne, là où il existe des dispositifs d’accompagnement, nous n’avons quasiment pas de décrochage. Le taux est quasi nul.
En France, un apprenti sur quatre décroche. À quoi est-ce dû ?
Les jeunes ont des freins très importants à l’apprentissage : mobilité, accès aux transports, difficultés de logement sur place (soit près de l’entreprise, soit près du CFA), difficultés scolaires initiales qui n’ont pas forcément été réglées. Et dans certaines situations, des problématiques familiales peu propices au développement de l’apprentissage.
Quelles sont les solutions que vous avez mises en place ?
Le meilleur exemple que nous avons est celui de Strasbourg où une personne (un éducateur) se consacre entièrement à accompagner les jeunes. Et ce du premier jour du contrat d’apprentissage jusqu’au dernier. Ces jeunes sont logés et accueillis à Apprentis d’Auteuil mais suivent une formation dans un CFA ( Centre de formation des apprentis, ndlr) régional. Ils sont accompagnés 24h/ 24, pour les devoirs mais aussi d’un point de vue éducatif. Nous leur apprenons tout ce qu’il y a à apprendre pour devenir quelqu’un d’autonome : passer le permis, gérer un budget, se loger et organiser tout ce qui va avec comme l’assurance. Cet éducateur a pour seule mission de lever les freins à l’apprentissage. Quand ces freins sont levés, même s’il y a quelques difficultés scolaires, le découragement ne s’installe pas et cela marche. Si nous devions préconiser quelque chose ce serait ça : mettre les moyens sur les freins périphériques. La réforme ( Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ndlr) prévoit un “financement au contrat”, négocié par branche. Ce financement à mon sens doit comporter au moins deux éléments : un financement à proprement parler dans le fonctionnement de l’Unité de formation par apprentissage, et un volet accompagnement pour la jeunesse en difficulté. Sinon, on ne fera pas descendre le taux de décrochage. Pour favoriser l’apprentissage, il ne faut pas négliger non plus la formation des personnels de l’Éducation nationale et notamment des professeurs principaux qui continuent à dire à certains enfants qu’ils ne doivent surtout pas “aller en apprentissage car c’est pour les nuls”. Il faut donc prévoir de l’argent pour les former mais aussi leur faire passer quelques jours dans des CFA. Le jour où l’on arrivera à faire ça, on arrivera à développer l’apprentissage. Pas avant. Autre point qui me semble important. Les chefs d’entreprise ont besoin d’apprentis dans pas mal de filières. Mais il faut qu’ils sachent les accueillir. L’école ne peut pas tout faire. Il faut qu’ils prennent aussi leur part : transmission de la culture de l’entreprise, savoir-faire, savoir-être. Avec des jeunes en difficulté, si la culture de l’entreprise qui est celle de la productivité, de la vitesse, n’est pas bien expliquée ou de façon agressive, cela ne fonctionne plus ! Si leur objectif de vie est de s’insérer professionnellement, ce n’est pas de vivre l’enfer dans le monde professionnel.