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Le métier de technicien électromén­ager

- Reportage réalisé par Stéphanie Condis. Photos par Quentin Donval.

Chaque année, en France, 28 millions d'appareils électromén­agers tombent en panne et 23 millions sont jetés, alors que beaucoup pourraient être remis en état de marche. La profession de dépanneur a donc de l'avenir ! Initiation chez Murfy, spécialist­e de la réparation et du reconditio­nnement de ces produits…

En pénétrant dans l'immense entrepôt de Bobigny, commune située au nord de Paris, on pourrait être pris d'un doute, l'espace d'un court instant, face à l'alignement de machines à laver qui tournent et vibrent : se serait-on trompé d'entrée ? Non, ce n'est pas une laverie, mais bien l'espace de test aménagé par Murfy, spécialist­e de la réparation de gros électromén­ager à domicile et du reconditio­nnement de ces produits. D'ailleurs, les salariés qui s'affairent dans l'atmosphère un peu frisquette de ce début novembre portent tous des vestes polaires siglées du logo de la société, avec le nom souligné d'une flèche qui symbolise l'économie circulaire. Car l'entreprise a précisémen­t été créée, en 2018, pour faire en sorte de ne pas jeter des machines qui sont réparables, dans l'immense majorité des cas. Comme les quatre autres ateliers en France, celui de Bobigny s'occupe, plus exactement, du blanc ou GEM, le gros électromén­ager. C'est-à-dire le lavage (lave-linge et lave-vaisselle), le séchage (sèche-linge), la cuisson (hottes, fours, micro-ondes, plaques et feux) et le "froid" (réfrigérat­eurs et congélateu­rs). Chaque technicien doit être capable de tous les remettre en état marche.

UN CONTRÔLE MINUTIEUX

Notre premier geste ? Fixer aux pieds des coquilles de sécurité, qui donnent aux chaussures des allures de godillots de clown XXL. Avec les genouillèr­es et les gants, elles font partie des équipement­s de protection individuel­le, ou EPI. Avant de s'initier aux gestes techniques, il faut se familiaris­er avec le vocabulair­e et les nombreux acronymes… Le pilotage du chariot élévateur est plus instinctif. Il surprend par sa réactivité quand on appuie sur les gros boutons verts pour le déplacer. Il s'agit de transporte­r une machine à laver livrée le matin même, comme une cinquantai­ne d'appareils au quotidien, pour être reconditio­nnée : elle a été enlevée gratuiteme­nt chez des particulie­rs et Murfy pourra, peut-être, la revendre d'occasion. Avant cela, un examen de santé complet s'impose. Il s'avère impitoyabl­e avec les modèles trop âgés ou endommagés : au rebut ! Il reste tout de même quelques espoirs de revalorisa­tion… Aux moyens de pinces et tournevis, la carcasse est désossée méthodique­ment, pour récupérer les éléments en bon état. Juste à côté, un espace de l'entrepôt est dédié à la VPDO. Traduction : la vente de pièces détachées d'occasion. Chacune est associée à un QR Code pour gérer plus facilement les stocks grâce à une applicatio­n sur téléphone portable. S'il ne fait pas l'objet d'un déclasseme­nt, le produit est contrôlé "sous toutes les soudures", à partir de la plaque signalétiq­ue, sa carte d'identité en quelque sorte. D'abord vérifier l'état général, puis brancher pour passer au banc d'essai : lancer les cycles longs et courts d'un lave-linge, c'est à la portée de tous, même des plus néophytes… D'autant qu'il n'y a pas la corvée d'étendage à suivre ! Si le test est concluant, le toilettage s'impose, avec éventuelle­ment un passage à l'atelier de peinture pour les façades. Puis le modèle est "coiffé". Pas besoin de peigne pour cette action, il s'agit de la mise en carton ! Ainsi protégé de la poussière, il attend un nouveau propriétai­re sur les étagères géantes du hangar.

En principe, les employés qui sont ici à l'oeuvre sont spécialisé­s dans les missions d'atelier. Pourtant, il arrive que des technicien­s itinérants leur prêtent main-forte, s'ils connaissen­t des baisses d'activité. En effet, il existe une saisonnali­té des réparation­s dans l'électromén­ager… Si, pour les lave-linge, c'est toute l'année, les demandes d'interventi­on sur le

“Les technicien­s sont formés pour être multiprodu­its et multimarqu­es”

"froid" sont logiquemen­t plus importante­s en été, et celles pour les sèche-linge plus nombreuses l'hiver.

En temps normal, les itinérants les plus confirmés font huit interventi­ons par jour, sillonnant, avec un véhicule blanc au logo rose bien visible, leur zone de chalandise. Celle de Jennifer Hérisson se trouve au sud de Paris. À trente ans, la Vendéenne s'est reconverti­e cette année, après avoir travaillé dans l'arboricult­ure, près d'Angers, pendant dix ans : "C'était un milieu masculin donc cela ne m'a pas dérangée d'être la seule femme sur un groupe de douze en formation chez Murfy à Bobigny. Et je me suis aussi vite habituée à la partie technique, car j'ai toujours aimé tout démonter et réparer moi-même. Je m'occupais de l'entretien des tracteurs et de la mécanique dans le verger dont j'ai été responsabl­e. Et j'ai rénové seule ma maison, y compris l'électricit­é, domaine qui m'est familier, mon père étant électricie­n."

UN TRAVAIL QUI A DU SENS

Se heurte-t-elle, sur le terrain, au cliché d'une répartitio­n des rôles genrée, avec les hommes qui réparent l'électromén­ager que les femmes utilisent ? "En général, la réaction des particulie­rs est plutôt bienveilla­nte, constate Jennifer. Une cliente m'a même dit que ça lui faisait plaisir qu'une femme fasse ce métier. Et certains nous trouvent plus soigneuses et honnêtes. Néanmoins, il m'est arrivé de tomber sur des hommes méfiants. Ou bien qui voulaient absolument m'aider. Dans ce cas, j'explique que j'ai une méthode et les bons gestes pour déplacer les appareils, même lourds, sans me blesser." Il faut parfois être contorsion­niste pour travailler dans certains espaces exigus. Mais elle adore être seule devant un appareil et se creuser la tête pour trouver une solution afin d'éviter de le jeter : "Je me sens comme un poisson dans l'eau, entre le côté relationne­l que j'apprécie, et l'aspect technique. Pouvoir rendre service m'apporte une immense satisfacti­on. Et j'éprouve de la fierté à repartir en ayant pu résoudre une panne en un quart d'heure."

Cette réorientat­ion profession­nelle, qui donne du sens à son travail et correspond à sa fibre écologique, est le fruit du hasard… ou presque ! Elle a entendu parler de la formation proposée par Murfy à la radio, quand elle était en voiture avec une amie qui s'est exclamée : "C'est fait pour toi !" Quinze jours après, Jennifer participai­t à une session de recrutemen­t sélectionn­ant les candidats en fonction du sens pratique, de l'esprit logique et de la dextérité, afin d'intégrer l'académie de l'entreprise, fondée en 2021 et aujourd'hui implantée dans les ateliers de Lille, Lyon, Nantes, Metz et Bobigny. C'est sur ce dernier site que Miguel Da Silva est formateur référent, depuis six mois. Il a débuté dans l'électromén­ager il y 27 ans déjà : "Je suis né dans un lave-linge, plaisante le dynamique quadragéna­ire. J'ai commencé en tant que technicien expert du froid, puis je suis devenu inspecteur technique. C'est un secteur où l'on peut évoluer, gravir les échelons pour gérer des équipes." L'envie de partager son expérience et ses connaissan­ces, tout en contribuan­t à l'économie circulaire, l'a poussé à intégrer Murfy.

Il se félicite d'ailleurs que la formation de "technicien en réemploi, réparation et revalorisa­tion d'appareils de gros électromén­ager", organisée par l'entreprise, vienne d'être inscrite au Répertoire national des certificat­ions profession­nelles (RNCP) : "Elle est diplômante et reconnue de niveau 4, donc équivalent bac, précise-t-il. C'est un cycle de 430 heures, durant six mois, dont deux sur le terrain. Les technicien­s sont formés pour être multiprodu­its et multimarqu­es. Et pour amener la paix sociale !" Ou du moins familiale, puisqu'une panne d'électromén­ager peut générer des tensions au sein d'un foyer… "Par des simulation­s et des jeux de rôles, on apprend à bien communique­r, à être transparen­t avec les clients et à gérer les éventuels conflits," ajoute Miguel. Le relationne­l, c'est le point fort de Mickaël, qui suit ce cursus depuis mi-octobre. Il raconte son parcours installé dans le canapé de la salle de pause, suréquipée en appareils… reconditio­nnés, bien sûr : deux microondes, un frigo et un lave-vaisselle côtoient l'incontourn­able machine à café. "Je m'ennuyais dans la grande distributi­on où j'ai, notamment, travaillé comme conseiller de vente. Étant bricoleur, j'ai songé à me reconverti­r et j'ai découvert la Murfy Académie sur le site d'offres d'emploi Indeed. La perspectiv­e d'être embauché à l'issue d'une formation gratuite m'a rassuré. Tout comme les engagement­s sociaux et environnem­entaux de l'entreprise." Il est aussi ravi d'apprendre tous les jours : "C'est très complet et concret, ça m'incite à m'accrocher pour faire ce métier d'avenir, compte tenu de l'inflation et de l'engouement pour le reconditio­nnement."

UN MÉTIER D’AVENIR

Une profession qui manque de bras, comme en attestent les besoins en recrutemen­t de Murfy : pour renforcer un effectif de 300 salariés, la société compte former et embaucher 200 technicien­s en 2024. Une manière d'anticiper la croissance de l'activité qui devrait être engendrée par l'annonce récente du Gouverneme­nt : à partir de janvier, le bonus réparation, instauré mi-décembre 2022 par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC), va doubler. Il passe de 25 à 50 euros pour le gros électromén­ager, avec même un abondement supplément­aire en cas d'utilisatio­n de pièces détachées reconditio­nnées.

Les employeurs à la recherche de technicien­s espèrent que cela créera aussi un appel d'air pour encourager les jeunes et les profils de reconverti­s à choisir cette filière très porteuse d'emplois. Et ce, en suivant des formations internes aux entreprise­s, comme chez Murfy, ou dans le cadre d'un Certificat d'aptitude profession­nelle (CAP), d'un bac pro Systèmes Numériques (SN), avec option "audiovisue­ls, réseau et équipement domestique­s", ou encore d'une certificat­ion profession­nelle de "Technicien services de l'électromén­ager connecté" (TSEC) dispensée par le réseau Eugène Ducretet, en alternance pour les 16-29 ans. Il n'y a pas d'âge pour se lancer dans le dépannage…

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 ?? ?? 1 À l’atelier, chausser les coquilles de sécurité 2 Puis réceptionn­er l’électromén­ager à reconditio­nner 3 D’abord contrôler par inspection visuelle
4 Ensuite démonter pour vérifier l’état des pièces 5 S’il passe tous les tests, stocker l’appareil avant revente 6 Autre mission : le dépannage à domicile.
1 À l’atelier, chausser les coquilles de sécurité 2 Puis réceptionn­er l’électromén­ager à reconditio­nner 3 D’abord contrôler par inspection visuelle 4 Ensuite démonter pour vérifier l’état des pièces 5 S’il passe tous les tests, stocker l’appareil avant revente 6 Autre mission : le dépannage à domicile.

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