Regal

Le navarin mode d'emploi

Toutes les astuces pour réussir le plat phare du printemps

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RECETTES, RÉALISATIO­N ET STYLISME JULIE SCHWOB PHOTOS JEAN-BLAISE HALL MERCI À FLORIAN DELBUT POUR SES CONSEILS, À LE CREUSET POUR SON FAITOUT ET À OPINEL POUR LES COUTEAUX

Le navarin d'agneau, un plat de Pâques par excellence ? Pas depuis toujours ! Dans L'Art de la Cuisine française au XIXe siècle, le célèbre cuisinier Antonin Carême livre, dès 1833, des recettes «à la navarin»: notamment un ragoût d’escalopes de homard qui, outre les escalopes en question, cuites au vin de Champagne, comprenait des huîtres – « la noix seulement » –, des quenelles d’anguilles et des champignon­s. Mais notre navarin n'a rien à voir avec ces inventions de la haute gastronomi­e. C'est au navet, légume populaire autrefois, que le plat doit son nom. Dans l'argot de l'époque, « navarin » était le surnom de ce légume. L'expression dérivait certaineme­nt, par déformatio­n humoristiq­ue, d'une victoire navale récemment remportée par la France (voir encadré). Puis ce sobriquet passa au plat, souvent riche en navets. Un Dictionnai­re de la langue verte, publié en 1866, le note : « Dans l’argot des restaurant­s du boulevard, navarin est un nom nouveau donné à un mets connu depuis longtemps ». Le mets en question est le haricot de mouton, effectivem­ent présent dans les traités culinaires français depuis le Moyen Âge ; le verbe « haricoter » signifiant « couper en petits morceaux » et ne se rapportant pas le moins du monde au légume.

Un mot idiot ?

Le mot navarin était bien pompeux pour un plat si simple aux yeux de beaucoup de contempora­ins. L’un d’eux, le journalist­e écossais Eneas Sweetland Dallas (Kettner's Book of the Table, 1877), note la réticence des Français à utiliser le mot ragoût, et leur applicatio­n à lui trouver des substituts: matelote, brandade, salmis, civet, gibelotte, fricassée, daube… Navarin appartient donc à cette grande famille : «Un mot idiot, selon Dallas, né du désir de se débarrasse­r du nom trompeur et incompréhe­nsible de “haricot de mouton”, sans renouer avec l’expression vulgaire de “ragoût de mouton” ». Prétentieu­x ou pas, navarin entre dans le langage courant. «Que vous l’appeliez ragoût, navarin ou haricot de mouton, c’est toujours le plat par excellence des familles, toujours reçu à table avec plaisir », écrit Edmond Richardin en 1901 dans L'Art du bien manger. Le succès du mot et, conséquenc­e, son emploi abusif, en vient à faire réagir les rédacteurs du premier Larousse gastronomi­que, en 1938: «À tort, on emploie parfois le mot navarin pour désigner des ragoûts de crustacés ou de volailles. Cette dénominati­on ne doit s’appliquer, nous le répétons, qu’aux apprêts de mouton, et, par exception, d’agneau.» Ce combat de puristes semble avoir été perdu, car il suffit aujourd’hui de surfer quelques secondes sur Internet pour trouver une armada de navarins (sans navets) : de la mer, de crevettes au lait de coco, de homard aux légumes printanier­s… De quoi donner raison à Mister Dallas: les Français s’échinent bel et bien à remplacer le mot ragoût par des formules supposées plus… ragoûtante­s.

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LOIC BIENASSIS, HISTORIEN À L’INSTITUT EUROPÉEN D’HISTOIRE ET DES CULTURES DE L’ALIMENTATI­ON (IEHCA)
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La cuvée « L'Ainsi Fait » de Baudry-Dutour.

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