Regal

ALEXANDRE MAZZIA « MANGER EST UN GESTE BASIQUE, UN GESTE DE VIE ! »

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Le chef se confie sur son approche de la cuisine, sa vision de la vie, sa relation avec Marseille dont il bouleverse les codes. Une interview sans filtre, brute, à l'image d'un chef hors normes, qui a grandi en Afrique et fait le tour du monde deux fois. Magnéto.

Racontez-nous votre parcours… Alexandre Mazzia : Je suis né au Congo, à Pointe-Noire, à la Clinique des Manguiers. J'ai vécu pendant quinze ans en face d’une plage qui s'appelle la Côte Sauvage, l’une des plus rudes du continent africain. C'est là aussi qu’il y a le plus de poisson. Face à la mer… Forcément, ça ne laisse pas indifféren­t ! Le plus petit et le plus vieux marché au poisson d’Afrique était près de la maison. Là-bas, j’ai découvert mes premières palourdes, premiers requins-marteaux, premières raies. De retour en France, ça a été le choc culturel. Je me suis réfugié dans le basket. J’ai été recruté sur les « playground­s », j’ai joué en pro jusqu’en équipe de France espoirs. Après, il a fallu faire un choix entre la cuisine et le sport. Un choix qui s'est fait naturellem­ent. Ce n'était même pas un choix, en fait. Les produits m'attiraient plus que le terrain.

On retrouve votre histoire dans votre cuisine ? A. M. Toutes ces expérience­s se retrouvent dans ma cuisine, mais surtout dans la logistique, le management, la façon d'appréhende­r la table. J'ai appris à tout décloisonn­er pour faire simplement ce que je suis. En France et en Europe, on est toujours dans ces logiques : quelqu'un fait ça et il a eu ça, donc peut-être que c'est le modèle qu'il faut suivre. Ça cloisonne l'esprit, la création et boum ! les gens s’enferment. Pourquoi s’installer à Marseille ? A. M. Avant d'arriver à Marseille, je m'occupais des repas protocolai­res d’un particulie­r. J'ai eu la chance de faire… (il réfléchit) peut-être deux fois le tour du monde. Ensuite, j’ai travaillé à Marseille au restaurant de la Cité radieuse de Le Corbusier, puis je me suis demandé : « Qu’est-ce que je fais ? Je repars à l’étranger ? » Ma femme m'a dit « Là franchemen­t, calmos muchacho ! » J'ai cherché un restaurant de petite taille pour créer mon propre endroit avec mes propres collaborat­eurs et ma propre façon de voir les choses. J'ai ouvert avec 20 € sur mon compte. J'avais pas droit au découvert ! Quand mes premiers clients sont arrivés… heureuseme­nt qu'ils sont arrivés ! C'était chaud. C'était super.

Pourquoi ouvrir un restaurant dans ce quartier un peu à l’écart du centre-ville ? A. M. Je ne voulais pas être sur le VieuxPort, parce que je ne voulais pas que les gens entrent pour manger. Je voulais que les gens viennent découvrir un autre univers. Sur ma façade, c’est pas marqué restaurant. C'était un pari un peu fou ! On a ouvert le 17 juin 2014, le 18 juin on était complet. (Six mois après, le restaurant a gagné une étoile, suivie d’une deuxième cette année.) Est-ce que la décoration de votre restaurant est volontaire­ment épurée pour que le client reste concentré sur l'assiette ? A. M. Je voulais un lieu aéré. On n'est pas obligé d'avoir des tableaux aux murs. En plus, on a un vrai tableau : un mur en béton de 13 cm d'épaisseur. Suivant la luminosité et la réverbérat­ion sur l'immeuble en face, on a une teinte différente : grise, bleutée voire anthracite. Je voulais que les gens viennent pour découvrir un univers différent et qu’ils se laissent emporter. Il fallait qu'on crée un lieu simple, où tout les détails comptent.

Qui sont vos fournisseu­rs ? A. M. Jean-Baptiste Anfosso, un producteur en permacultu­re à Bandol. Il fournit 70 % du restaurant. Il fait un travail extraordin­aire. Je n'ai pas besoin d'aller à Tombouctou !

En permacultu­re, on réussit maintenant à avoir des piments, de la mangue, je fais en fonction de ce qu'il me donne. J'ai aussi deux pêcheurs de langoustes dans les calanques de Morgiou (lire page 14). Ça ne me paraîtrait pas cohérent de faire venir des produits de loin. Mon grand-père était pêcheur sur l'île de Ré. Les gens qui l'ont fait vivre, ce sont les restaurate­urs, je garde toujours ça en tête. Si nous, restaurate­urs, on n'aide pas les petits artisans, qui va le faire ? On n’a pas beaucoup parlé de ce que vous mettez dans l’assiette… A. M. Vous verrez !

Vous pouvez juste nous expliquer un plat ?

A. M. Nan ! Vous allez voir, vous. Ça ne sert à rien d’en parler. Il vaut mieux manger et après, vous aurez votre propre analyse.

Vous vous imaginez dans un endroit quand vous créez une recette ?

A. M. J'essaie d'emmener les gens dans ce que j'ai à leur faire ressentir de plus profond. Après, il y en a qui partent et il y en a qui ne partent pas. C'est assez cérébral, mais manger est un geste basique, un geste de vie. J'espère apporter un peu de bonheur aux personnes qui viennent déjeuner ou dîner. Nous, on passe très peu de temps à table, un quart d'heure par jour. Je pourrais passer la journée à table avec ma femme à raconter des histoires, à boire, à rigoler…

Est-ce que des recettes marseillai­ses vous inspirent ?

A. M. Non, il y a suffisamme­nt de gens qui savent faire la bouillabai­sse sans que j’en rajoute. Le terme revisiter m'emmerde, en fait. On revisite ceci, on revisite cela, je re-revisite, je re-re-revisite… fais ce que tu fais, quoi ! Revisiter, je l'ai fait il y a très longtemps, j'arrête. Ici, on a notre forme d'écriture qui est totalement différente. On vous laisse déjeuner… A. M. Je vais grignoter un petit truc.

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 ??  ?? Beauté intérieure Brocolis/manioc/ pois chiches/passion/ lait de poule... Un mélange de textures et de saveurs qui crée l'émotion et la surprise.
Beauté intérieure Brocolis/manioc/ pois chiches/passion/ lait de poule... Un mélange de textures et de saveurs qui crée l'émotion et la surprise.

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