Regal

Cap Corse, le goût sauvage Miel, jambons, fromages, vins... renouez avec l'authentici­té des saveurs

- TEXTE JEAN-PAUL FRÉTILLET

Un miel au goût de fleurs du maquis, des cochons en liberté, un terroir dont les vins laissent parler la nature… Le Cap Corse, comme un doigt pointé vers le continent, nous indique la voie à suivre : le nord pour renouer avec l’authentici­té des saveurs.

La beauté brute du désert des Agriates est à l’image de la Corse, sublime et sauvage: au loin, le golfe de Saint-Florent, autour, la montagne, et partout, la nature en liberté. Jusqu’au printemps, il n’a de désert que le nom tant la végétation semble vivace et désordonné­e. Pierre Carli aime ces paysages. Il est apiculteur itinérant à Patrimonio, au sud du Cap Corse. Il a ancré ses ruches au milieu des asphodèles et des brassées de lavande blanche au parfum entêtant. Casta, l’unique village de ce désert pas comme les autres, n’est qu’à quelques envolées d’abeilles. Dans sa combinaiso­n intégrale, Pierre virevolte entre les ruches enfumées. Il les ouvre et les referme, repère ici ou là une reine entourée de son essaim d’ouvrières affolées. Soudain, il avise un arbuste où s’agitent une nuée d’abeilles buissonniè­res. Elles sont en train de bâtir une colonie sauvage. En quelques gestes, l’apiculteur reconduit les factieuses au bercail. « L’abeille corse est un peu agressive », prévient Pierre Carli. Lorsqu’elles repèrent un importun, il faut s’éloigner d’au moins quatre-cents mètres des ruches pour que les plus téméraires abandonnen­t leur

chasse et retournent à leur quotidien. C’est-à-dire butiner et rapporter à la ruche le nectar des fleurs. « Qu’elle soit corse ou du continent, ce n’est pas l’abeille qui fait la qualité du miel, c’est le nectar offert par le biotope qui entoure les ruches », insiste Pierre Carli en retirant son chapeau à voilette.

Ruches voyageuses et miel du maquis Au fil de la saison, Pierre Carli voyage avec ses ruches et les place opportuném­ent au bord du littoral, puis dans la forêt de châtaignie­rs, enfin dans le mystérieux maquis qui n’appartient qu’à la Corse. Pendant qu’il y chasse la bécasse, les abeilles fabriquent du miel d’arbousier, cette essence d’arbuste dont les petits fruits rouges, semblables à des fraises, régalent les promeneurs. Le miel que les abeilles en tirent est stupéfiant par son caractère. Tout comme celui issu de la Castagnicc­ia, une région montagneus­e dominée par les châtaignie­rs, trop souvent colonisés par les ronces, faute d’être entretenus. «C’est un mal pour un bien, constate Pierre Carli, car en butinant aussi la fleur de ronce, les abeilles tempèrent, sans le savoir, l’amertume naturelle du miel de châtaignie­r. C’est la

Les fromages Monte Astu

de Benoît-Joseph et Olivia Ferrari

(ci-dessous) à San-Gavino-diTenda ont le goût du bon lait fermier. Les chèvres partent en transhuman­ce tout l’été sur les sommets de San Pietro

(ci-dessus). Autrefois, les bergers descendaie­nt le lait à dos de mule, mais le couple a décidé de vivre avec son époque. Les chèvres sont progressiv­ement taries avant de monter en estive et vivent en liberté jusqu’en hiver.

À gauche, blinis de courge au brocciu et aux herbes, préparés par Lionel Fabbri, le chef du Potager du Nebbio.

Figure emblématiq­ue du vignoble de la Corse du nord,

Muriel Giudicelli (rejointe par son mari, Stéphane) a embrassé la cause du Patrimonio avec passion. Pourtant elle est originaire du sud de l’île et n’est pas fille de vignerons. Ses vins rouges produits en biodynamie sont salués par les guides pour la finesse de leurs tanins. Sur ses 17 hectares de vignes, elle travaille en rouge (nielluccio 100 %) et en blanc (vermentino 100 %). Le domaine propose également un muscat aux notes florales et fruitées.

somme de tous ces détails qui fait la particular­ité des

miels de l’île.» On comprend mieux pourquoi les apiculteur­s corses sont les seuls en France – avec le miel de sapin des Vosges – à avoir décroché une appellatio­n d’origine protégée.

Patrimonio, un terroir lumineux

Les vignobles de Muriel Giudicelli sont plantés dans la région vallonnée de Patrimonio. Ses pentes se jettent dans la Méditerran­ée à moins de trois kilomètres et le mont Sant’Anghjulu se dresse aux premières loges. « Au début, sourit-elle, on croit faire les meilleurs vins du monde. Et puis quand on se compare aux autres ici et ailleurs, car j’ai eu la chance de beaucoup voyager, on réalise qu’on est loin du compte. » En 1997, elle s’installe à Patrimonio et fait ses premiers vins avec cinq hectares. Elle vinifie alors avec «des pesticides dans les vigneset des tartines

d’additifs dans le moût », dans « des cuves en inox sans âme », pour des vins qu’elle considère aujourd’hui comme imbuvables. Quinze ans plus tard, la vigneronne supprime toutes les poudres de perlimpinp­in, engage son vignoble sur le chemin de la biodynamie et fait entrer des foudres en bois dans son chai. Ses vins s’illuminent, nourris par l’énergie du terroir de Patrimonio. «2014 a été le premier cru dont j’ai vraiment été fière », conclut Muriel Giudicelli.

À l’assaut du Monte Astu

Les chèvres corses de Benoît Ferrari ont rejoint les sommets de San Pietro à l’appel de l’estive. « C’est elles qui décident quand elles veulent grimper dans la montagne puis redescendr­e quand il commence à faire

plus frais, à la fin de l’été », explique le berger, qui garde un oeil sur les pérégrinat­ions de son troupeau avec une applicatio­n GPS sur son téléphone. On les retrouve sur les hauteurs de San-Gavino-di-Tenda, sous la garde de Colombra, un patou des Pyrénées. À l’approche du premier venu, il montre les dents, mais se ravise à la vue du berger. Les chèvres sont plus familières. Avec leurs longues cornes, acérées comme des dagues, elles nous fixent de leurs beaux yeux doux, puis repartent brouter la végétation sauvage et parcimonie­use des pentes abruptes du Monte Astu. « Elles sont nées pour ce paysage. Et tant que je ferai ce métier, je défendrai ces chèvres corses, hélas en voie de disparitio­n», s’enflamme le berger. Tandis que d’autres dans la montagne ont succombé à la chèvre du continent, plus généreuse en lait, mais dont les sabots ne sont pas aussi bien armés pour ces paysages accidentés. En automne, de retour à la bergerie, les chèvres mettent bas et la fabricatio­n du fromage recommence. Les chevreaux seront prêts pour la table du réveillon, une solide tradition à Noël, dans le Nebbio.

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PHOTOS LOUIS LAURENT GRANDADAM
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