Regal

L'aïoli mode d'emploi

FAITES-VOUS PARTIE DES PURISTES DE L'AÏOLI QUI REFUSENT TOUTE COMPROMISS­ION AVEC L'OEUF OU LA POMME DE TERRE? CERTAINS AUTEURS DES PLUS SÉRIEUX POURRAIENT BIEN VOUS FAIRE CHANGER D'AVIS. À VOS MORTIERS, AÏE, AÏE, AÏE!

- RECETTES, RÉALISATIO­N ET STYLISME JULIE SCHWOB PHOTOS JEAN-BLAISE HALL MERCI À ÉMILE HENRY POUR LE MORTIER

La cuisine médiévale prisait l’ail. Des sauces à l’ail, appelées «aillie» ou « aillée », étaient particuliè­rement appréciées, on pouvait même les acheter dans les rues à des marchands ambulants. Chez Rabelais, on voit Pantagruel se régaler de viande «aux ailz». Un plaisir dont le narrateur déplore les conséquenc­es: « Je pense et calcule, et trouve que c’était une puante haleine qui était venue de l’estomac de Pantagruel alors qu’il mangea tant d’aillade. » Cette remarque est peut-être révélatric­e de la dévalorisa­tion dont semble victime l’ail à partir de cette époque. Son statut évolue et il en vient à être assimilé à un aliment de rustre. Dans un ouvrage de 1782, Histoire de la vie privée des Français, Pierre JeanBaptis­te Le Grand d’Aussy explique bien que « l’odeur infecte de cet assaisonne­ment [l’aillée] l’a éloigné peu à peu des tables honnêtes » et que ce « ragoût » est désormais réservé aux pauvres. Mais, nuance de taille, il ajoute : « Ce changement ne regarde que le nord de la France : nos Provinces méridional­es estiment & recherchen­t encore l’ail autant que faisaient nos Pères. » De la Gascogne à la Provence, l’ail continue en effet d’avoir la cote ! L’aïoli participe de ce goût.

Pommade pour limaçons

En 1723, le père Sauveur-André Pellas publie à Avignon un Dictionnai­re provençal et françois « pour l’instructio­n des Provençaux qui n’ont pas une entière intelligen­ce ni l’usage parfait de la langue française ». Il mentionne l’« ailholi » mais estime inutile d’en donner une traduction en français car «en France on n’use point de cette sorte de ragoût ». Soixante ans plus tard, Le Dictionnai­re de la Provence et du Comté Venaissin (1785), de Claude-François Achard, consacre un long article à l’aïoli et en livre la recette : « Ragoût que l’on fait en pilant quelques gousses d’ail dans un mortier, & en y ajoutant peu à peu de l’huile ; cela forme une espèce de pommade que l’on mange crue avec du poisson bouilli, des haricots, des limaçons, etc. » Au XIXe siècle, tandis que s’affirme l’identité culinaire des régions, l’aïoli va devenir l’une des préparatio­ns emblématiq­ues de la Provence. Le mouvement régionalis­te, le Félibrige, fondé en 1854 par Frédéric Mistral et six autres poètes, en vient même à baptiser l’une de ses revues L’Aiòli. Ce plat n’a jamais perdu son statut de nourriture totem, aux côtés de la bouillabai­sse par exemple. Il trouve sa plus belle expression dans le grand aïoli, ce repas festif où la jatte d’aïoli est placée au centre de la table, entourée d’une foule d’accompagne­ments. Un rituel qui marie la mer à la terre et s'adapte à l'appétit de chacun.

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LOIC BIENASSIS, HISTORIEN À L’INSTITUT EUROPÉEN D’HISTOIRE ET DES CULTURES DE L’ALIMENTATI­ON (IEHCA)

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