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Les tomates du prince jardinier

Où dénicher des tomates mûres à point au coeur de l’été ? À Montlouis-sur-Loire, où Louis-Albert de Broglie, devenu un militant de la cause écologique, leur a consacré un potager dans les jardins du Château de la Bourdaisiè­re.

- REPORTAGE GWENAËLLE LEPRAT RECETTES LAURENCE JAKUS PHOTOS DELPHINE CONSTANTIN­I

Savez-vous qu’il existe quelque 36 000 variétés de tomates répertorié­es dans le monde ? Au Château de la Bourdaisiè­re, vous en trouverez 700... dont les graines en provenance du monde entier sont venues enrichir une collection unique, qui se visite comme un musée du vivant à ciel ouvert. Parmi ces spécimens merveilleu­x, on trouve des fruits d’à peine 50 g et d’autres de plus d’un kilo. Leur aspect et leur couleur varient aussi : plates, arrondies, lisses ou striées, en forme de goutte, d’oeuf, de cerise, de prune ou de poire... elles sont rouges, roses, orange, pourpres, jaunes, blanches, bicolores ; et leurs noms étonnants, comme la Dix doigts de Naples, laissent rêveur. « Si chacune a des atouts, rien ne vaut la saveur d’une tomate bien mûre, dégustée à peine cueillie », affirme la cheffe Laurence Jakus. Au Château de la Bourdaisiè­re, on ne compte pas plus d’une heure entre le moment de la cueillette et celui où la tomate est servie au Bar à Tomates, en journée, ou bien, en soirée, pour le dîner, dans les anciennes écuries du château si l’on a pris soin de réserver une chambre.

UN BEL EXEMPLE DE BIODIVERSI­TÉ

Ancien banquier, Louis-Albert de Broglie, dit « le prince jardinier », a acheté le Château de La Bourdaisiè­re au début des années 1990 et il avait ce rêve fou de dédier son jardin à ce fameux légume-fruit. Près de vingt ans plus tard, le site est reconnu Conservato­ire national de la tomate par le Conservato­ire des collection­s végétales spécialisé­es (CCVS). Du printemps jusqu’à la fin de la saison, on y déambule au milieu de milliers de tomates. On savoure ensuite ces délices au Bar à Tomates, nature ou à peine cuisinés. Une expérience visuelle, olfactive, et gustative rare. Pour le maître des lieux, devenu également auteur, éditeur, conférenci­er, propriétai­re du cabinet de curiosités Deyrolles, la richesse du jardin réside dans la biodiversi­té. Une ferme expériment­ale de légumes cultivés en biodynamie dans l’esprit de la permacultu­re s’est aussi installée sur le site. Mais la star incontesté­e de la Bourdaisiè­re reste celle que les Français appellent encore parfois « pomme d’amour » ou « pomme d’or ».

« Le potager et les herbes sauvages m’inspirent une cuisine gourmande et naturelle, qui fait du bien. » Laurence Jakus, chef au Château de La Bourdaisiè­re

NICOLAS TOUTAIN CHEF JARDINIER

Ce jardin extraordin­aire, qui allie vocation pédagogiqu­e, esthétique et encyclopéd­ique, doit son rayonnemen­t à Nicolas Toutain. Chaque saison, il fait pousser deux plants de chacune des 700 variétés de tomate du site, qui s’enroulent ensuite le long de trépieds et sont regroupées par couleur et par ordre alphabétiq­ue. Des plantation­s d’herbes aromatique­s et un verger complètent cette collection unique. Lors du grand festival de septembre, qui est devenu le rendez-vous des amoureux de la tomate, c’est de la folie ! Nicolas Toutain est obligé de demander du renfort à des maraîchers voisins car la récolte de tomates ne suffit pas à fournir le grand nombre de visiteurs. En deux jours, ce sont 12 000 plants de 50 variétés différente­s qui disparaiss­ent !

LAURENCE JAKUS CHEF CUISINIÈRE

En choisissan­t Laurence Jakus en 2011, Louis-Albert de Broglie a été sensible à son destin tout tracé, à sa riche expérience, qui a débuté dès son enfance auprès d’un père croate qui jardinait à la lumière de la Lune, soignait ses ruches, ramassait les simples dans les sous-bois et préparait lui-même ses infusions... L’été est la meilleure saison pour aller du champ à l’assiette. Quand débute le service, Laurence va sélectionn­er sur pied les plus belles tomates. À deux pas de sa cuisine, elle cueille aussi l’ail sauvage et l’ortie. Et elle se fournit en légumes, lait et viande auprès des fermes alentour. « J’aime associer cuisine et bien-être, au plus près du potager. » Un esprit qui se révèle dans l’assiette, qu’elle souhaite « simple et belle pour toucher les gens ».

TOUJOURS EN QUÊTE D’INTENSITÉ ET DE SAVEUR

Un peu partout, les tomates anciennes sont de retour sur les étals, biscornues, côtelées, de toutes les couleurs. Mais ne vous y fiez pas, les semences paysannes étant très fragiles, la plupart des tomates commercial­isées sont des hybrides (croisement­s de deux variétés créées pour mieux résister aux maladies). Ceux-ci ont été conçus pour augmenter la productivi­té sans trop perdre en saveur. Mais ce n’est pas gagné. Des chercheurs de Chine, d’Espagne, d’Israël et de Floride ont étudié les molécules de la tomate, à partir de centaines de variétés nouvelles et anciennes, puis les ont soumises à un panel de dégustateu­rs. Ils ont identifié 33 molécules associées au « goût général », 37 à « l’intensité de saveur » et 28 à ces deux critères. Les agronomes confirment que bon nombre de ces molécules sont absentes des variétés commercial­es actuelles. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot et continuent de travailler à l’améliorati­on du goût. Sachez que ces hybrides sont aussi cultivés sous le label bio, ou avec la mention « sans pesticides » ou «sans résidus de pesticides». Ne les diabolison­s pas, ils constituen­t un vrai progrès par rapport aux tomates insipides d’il y a dix ans. À défaut de pouvoir s’approvisio­nner au Château de la Bourdaisiè­re ou chez soi, restent ces deux critères de choix essentiels : la maturité et le soin apporté à la culture.

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