« Notre race très rustique a la capacité génétique de produire un gras intramusculaire très savoureux. »
Cette Corse authentique se mérite aussi quand on part à la rencontre de Benoît et Muriel Rinaldi, éleveurs-charcutiers montagnards. La route étroite d’un autre âge serpente sur des flancs escarpés. À l’approche de San-Lorenzo, elle a été rafistolée après un effondrement coupant l’accès principal au village. « Cinq mois, ça a pris ! », peste Benoît en tranchant un saucisson d’un rouge sombre. Sur la braise, les saucisses nous en promettent autant que le vin de Patrimonio dans le verre. « Ici, on a déjà été bloqué trois jours à cause de la neige, il faut vivre dans les villages pour le comprendre. Alors, ils me font rire les défenseurs de l’identité corse qui n’y mettent les pieds que l’été quand tout est beau et facile», poursuit Benoît avec un accent qui en dit encore davantage sur son attachement à ce pays. Pour que leurs enfants parlent le corse comme le français, les Rinaldi les conduisaient dans une école bilingue dans la vallée à 1 h 30 de route tous les jours. S’ils vivent au village, c’est pour élever des cochons aussi corses qu’eux. Dans la prairie vallonnée, parsemée de châtaigniers, on voit détaler les mères, poursuivies fébrilement par leurs petits. Les cochons corses sont gris cendré aux oreilles tombantes, comme toutes les races méditerranéennes. Ils grandissent en liberté, fourrageant dans l’herbe grasse pour se nourrir, se régalant de châtaignes à l’automne, sans oublier quelques céréales pour parfaire leur musculature. Une vie bucolique à l’image de celle des porcs noirs de Bigorre ou des iberico d’Andalousie… sauf qu’ici, les glands des chênes verts sont des châtaignes. « Comme tous les autres porcs noirs de la Méditerranée, le Porcu nustrale est une race très rustique qui a la capacité génétique de produire un
gras intramusculaire très savoureux », précise Benoît Rinaldi. Dans les greniers de la maison, les saucissons, les jambons et les coppas sèchent à l’air des montagnes après avoir été salés et fumés au bois de châtaignier.
Des brebis gourmandes d’olives
Du côté de Patrimonio, la saison est trop avancée pour déguster l’agneau de lait, une autre pépite du terroir. «Il faudra revenir après l’automne», sourit Serge Ficaja, au milieu de ses brebis corses à la laine jarreuse et à la robe chamarrée si caractéristique. La prairie meurtrie par la sécheresse est bordée par le maquis. Les bêtes s’y perdent pour se nourrir d’olives et de glands jusqu’à l’indigestion. « Vous imaginez la qualité de leur lait !, s’enthousiasme Serge Ficaja. Et
dire que cette race a failli disparaître ! » Son tort? Pas assez productive! On connaît la chanson. En sept mois de lactation, la brebis corse ne donne en effet que 110 litres, contre 400 litres ou plus pour une Lacaune au pays du roquefort. La comparaison ne manque pas de sel. Car il y a plus d’un siècle, quand la loi l’y autorisait, une partie du lait des brebis corses était transformée en tomes de fromages frais qui partaient pour l’affinage en bleu dans les caves de Roquefort. « Le lait de nos brebis est si parfumé et si riche en matière grasse que les producteurs de Roquefort reconnaissaient à l’époque que leurs meilleurs fromages provenaient de Corse ! », fanfaronne Serge Ficaja. Au moment des au-revoir, l’éleveur enfonce le clou avec malice : «C’est vraiment dommage que vous n’ayez pas pu goûter un cuissot cuit sur la braise ! » Une chose est sûre : nous reviendrons à Patrimonio.