Poivre, le petit grain qui monte
DERRIÈRE L’APPELLATION GÉNÉRIQUE SE CACHE UNE MULTITUDE DE BAIES AUX RICHESSES INSOUPÇONNÉES. DÉCRYPTAGE D’UNE TENDANCE QUI VA CHANGER NOTRE MANIÈRE DE FAIRE TOURNER LE MOULIN !
Sur les routes de la soie, les marchands avaient pour habitude d’enfouir leurs étoffes dans les sacs de poivre pour les préserver des mites. Les Vénitiens, eux, lui prêtaient les vertus d’une poussière d’étoile. L’épice la plus recherchée au monde s’est banalisée jusqu’à se contenter d’une production de grains indéfinissables et de poudres douteuses. Dans le sillage des cafés de grand cru et des chocolats de pure origine, le poivre reprend des couleurs. Originaire de l’État de Kerala, en Inde, il a été cultivé au fil des siècles dans d’autres pays : Cambodge, Vietnam, Indonésie, Brésil, Madagascar et
plus récemment au Cameroun dans les années 1930. « Le poivre est le fruit d’une liane qui s’accroche aux arbres ou à des tuteurs, si bien que l’on pourrait presque parler d’une vigne », explique Gérard Vives, un chasseur de baies rares. « Il y a une osmose entre la variété et le terroir. Une fois l’espèce adéquate sélectionnée, on doit choisir son exposition, en exploitant le climat et le relief, comme pour le raisin. » Selon leur origine, les baies plus ou moins piquantes développent une identité propre : acidulée, boisée, camphrée, anisée… Une palette d’arômes qui nécessite d’éduquer les consommateurs,
plus habitués à des poudres à feu qu’à la richesse gustative de ces grains rares.
Expression du terroir
Les importateurs ont ainsi hérité d’une double casquette : arpenter le globe à la recherche des meilleures parcelles et transmettre leurs connaissances à leur retour. « Vous confondriez une tomate et une courgette ? », interroge Erwann de Kerros, qui a créé la marque Terre Exotique, après avoir dirigé une plantation dans la vallée de Penja. « L’infinie variété des poivres laisse une part aux rêves et à la créativité.
Le voatsiperifery est boisé tandis que le cubèbe a une odeur de thé fumé, mais rien n’empêche de les fusionner pour inventer un nouvel accord.» Ce passeur de saveurs multiplie les séances de dégustation, en accueillant des élèves des écoles hôtelières dans son école de pipérologie en Touraine. Chaque été, il organise également un Festival du poivre en plein air : le prochain aura lieu les 20 et 21 juin prochain, au Parc de la Perraudière de Saint-Cyr-sur-Loire.
Un trait d’union universel
Kampot, kororima ou sarawak, chaque variété est le reflet d’un terroir mais aussi du savoir-faire de cultivateurs respectant la biodiversité. Les chasseurs d’épices établissent une relation de confiance avec les producteurs, en leur garantissant une juste rémunération. Sous la houlette du père missionnaire Lucien Fabre, la cueillette du poivre sauvage de la Likouala contribue à la construction d’écoles dans la forêt équatoriale du Congo. « Le poivre est peut-être un symbole de la mondialisation, dans un sens positif », analyse Mathilde Roellinger, qui seconde son père, en quête de nouvelles lianes dans les forêts du sud de l’Inde. « À nos yeux, un bon produit est une épice cultivée dans une démarche responsable, par des gens que l’on ne laisse pas au bord du chemin. » Un cercle vertueux au Kerala, qui voit des enfants choisir de revenir cultiver le poivre dans la ferme de leurs parents.