Reportage

Annecy, la cuisine grandeur nature Promenade sur les bords du lac émeraude, et sur les sentiers du beaufort d'alpage

Les chefs s’accordent à dire qu’ils ont une chance inouïe: à Annecy, le travail paie. Quand la restauration est en crise, « on refuse moins de clients que d’habitude», plaisante Yoann Conte. Le chef de La Maison Bleue est un enfant gâté, il vous le dira luimême. Les paysages somptueux, la Suisse toute proche, les lacs et les montagnes où l’on déniche des produits d’exception… Les gastronomes sont toujours plus nombreux à se chercher une place sur les rives du lac bleu, qui concentrent 8 étoiles Michelin. Une performance ! Le troisième macaron gagné par Laurent Petit l’année dernière est tombé comme un pavé dans le lac. Le chef du Clos des Sens, à Annecy-le-Vieux s’est hissé au sommet du podium à la suite de son «cooking out » (portrait complet à retrouver prochainement dans Régal). Ré-vo-lu-tion ! Le chef ne voulait plus se mentir. En pleine crise de la cinquantaine, il a décidé de dynamiter l’exubérance qui gouverne la haute gastronomie. Désormais, il renverse la table avec un petit chou tout simple, juste cuit dans une soupe de poisson de lac au safran. Une modestie osée dans une région où les clients aiment se faire déposer en hélicoptère… Son arrivée au sommet a donné un nouvel élan aux chefs annéciens : pour Yoann Conte et Jean Sulpice, deux champions, c’est une émulation extrêmement excitante. Ces élèves de Marc Veyrat ont chacun une personnalité affirmée. Les pieds dans l’eau, la tête dans les montagnes, Régal a suivi leur trace vers les plus hauts sommets.

Le souvenir au menu Jacques Chirac, Dieu, le pétrole, la montée des eaux au Bangladesh, les iPhone… Quand on l’interroge sur sa cuisine, Yoann Conte se laisse souvent aller à faire du hors-piste. « Avec tout ce gloubi-boulga, je ne sais pas comment tu vas faire un condensé ! », reconnaît-il à la fin de l’interview. Le chef qui est aux manettes de La Maison Bleue, 2 étoiles Michelin à Veyrier-du-Lac, ne perd toutefois pas le nord. Originaire de Bretagne, il arrive à dix ans à Chamonix avec ses parents restaurateurs. Une lettre sépare la famille Conte des autochtones (les Comte, nombreux dans la région). Aussi Yoann se considérera-t-il toujours comme un Savoyard d’adoption, avec un père de substitution tout trouvé : Marc Veyrat. Sur la façade de La Maison Bleue, un bel hommage à

La brume accrochée aux montagnes dévoile pièce par pièce le puzzle d’un lac envoûtant. La nature vous submerge, les montagnes charismatiques vous rappellent combien vous êtes petit. Si les chefs sortent le grand jeu, c’est parce que le lac le vaut bien.

Yoann Conte et Jean Sulpice ont une passion commune pour la montagne. Dans leurs bibliothèques, les livres de recettes cultes côtoient les beaux livres de montagne. À l’heure de la tisane, on se prend à feuilleter les photos de glaciers du mont Blanc, les grands sommets du randonneur, l’architecture des refuges… Le changement climatique est on ne peut plus réel pour ces chefs qui ont vu leurs glaciers reculer. Ils semblent conscients de leurs responsabilités, surtout depuis que Laurent Petit a tapé du poing sur la table…

Le terroir s’exprime aussi bien dans une cassolette d’escargots qu’à travers cette élégante féra fumée, millefeuille de pommes de terre et ache des montagnes (ci-dessous). C’est un souvenir sublimé d’un maquereaupomme à l’huile. Yoann Conte a découvert l’ache des montagnes, aussi appelée livèche, aux côtés de Marc Veyrat et d’Emmanuel Renaud. Une claque ! Le caractère vrai de cette herbe le renverse. Yoann aime marier la force qu’elle exprime avec des produits fumés. Il recommande de la cueillir jeune car elle devient aigre et hostile en vieillissant.