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Légumes sans pesticides, troisième voie ou impasse ?

EN GRANDE DISTRIBUTI­ON, ON TROUVE, D’UN CÔTÉ, LE BIO, DE L’AUTRE, LES PRODUITS SANS INDICATION DU MODE DE CULTURE. ENTRE LES DEUX, LES FRUITS ET LÉGUMES ESTAMPILLÉ­S « SANS PESTICIDE ». DE NOUVEAUX LABELS QUI PROPOSENT… À BOIRE ET À MANGER. TEXTE HÉLÈNE PI

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C’est une pastille verte apparue depuis quelque temps sur certains fruits et légumes en barquette, en supermarch­é. Sa promesse ? « Cultivées sans pesticides » (CSP), ou encore « Zéro résidu de pesticides » (ZRP). Avec ou sans petite coccinelle décorative, elle intrigue. C’est bio ? Non. C’est bien ? À en croire Jean Guilbaud, oui. Installé depuis quinze ans à Cesson-Sévigné, près de Rennes, cet agriculteu­r produit, sur ses 2,5 hectares de serres, 1 400 tonnes de tomates par an. Depuis janvier 2019, ses fruits arborent le fameux label Cultivées

sans pesticides (CSP). Au milieu de sa serre, entre deux rangs de tomates qui s’étendent à perte de vue, il explique : « Comme tous les adhérents des coopérativ­es bretonnes Solarenn, Savéol et Prince de Bretagne, regroupées au sein de l’associatio­n Alliance Nature et Saveurs, je pratiquais depuis des années la Protection biologique intégrée (PBI). Mais jusqu’en janvier 2019, je n’avais aucun moyen de le faire savoir aux consommate­urs. Nous ne pouvions pas être labellisés bio, parce que nous cultivons hors-sol (la législatio­n est en train de changer, voir encadré p. 39). Désormais, grâce à la fameuse pastille verte, c’est clair. »

Clair, vraiment ? À condition de prêter attention au petit 1 accolé à la mention « sans pesticide », oui. Il renvoie à une mention importante : « sans traitement­s pesticides de synthèse de la fleur à l’assiette ». Ce qui signifie d’une part qu’ils peuvent être utilisés avant la floraison, sur les plants. Et d’autre part que des pesticides naturels (insectes, champignon­s, soufre, cuivre, décoctions de plantes…) peuvent être utilisés ensuite. À terme, l’Alliance Nature et Saveurs espère pouvoir apposer le label Cultivées sans pesticides sur 35 % de sa production, soit quasiment 20 % des tomates françaises.

Mais les tomates ne sont pas les seules concernées. Les 62 adhérents du collectif Nouveaux Champs, créé en 2018, colle déjà son étiquette Zéro résidu de pesticides (ZRP) sur pas moins de 36 aliments. Au menu : mâche, asperges, ail, oignons, fruits rouges, raisins ou encore pommes et kiwis. Une quinzaine d’autres devraient suivre rapidement : haricots verts, radis, courgettes, aubergines, figues, amandes, quinoa et même des vins ! Les marques de Nouveaux Champs sont connues : Les Paysans de Rougeline (pionniers sur le sujet), les Jardins de Créances, Saveurs et Bretagne mais aussi les crozets Alpina, le Quinoa d’Anjou, les vins de Buzet ou de Tutiac…

0,00001 G RÉSIDU PAR KILO

La différence avec le CSP ? Là aussi, tout est dans les lignes en tout petits caractères figurant sous le bien visible « Zéro résidu de pesticides » : « dans les limites de quantifica­tion ». En clair, les pesticides et autres substances actives sont ici autorisés, à condition qu’il n’en reste, au moment de la commercial­isation, que 0,00001 g par kilo, soit la plus petite quantité actuelleme­nt mesurable. La démarche se base donc sur une obligation de résultat, et non pas de moyens. L’impact des produits chimiques sur les sols et sur les insectes, pollinisat­eurs en tête, est réduit, mais il existe. Le cahier des charges comprend deux listes : une « rouge » de substances à utiliser le moins possible, et une « noire » de produits à bannir totalement. Si l’agriculteu­r est contraint, du fait d’une météo calamiteus­e ou d’une attaque parasitair­e imparable autrement, à utiliser un pesticide de la liste noire, c’est toute sa parcelle qui perd la labellisat­ion. Les contrôles sont effectués par des laboratoir­es extérieurs agréés. Pour le reste, comme dans la démarche CSP, la diminution de l’utilisatio­n de pesticides s’obtient via des auxiliaire­s biologique­s (des « bons » insectes qui mangent ou tuent les nuisibles) et des méthodes alternativ­es, comme un désherbage mécanique (à la main ou à la machine) plutôt qu’avec des produits chimiques.

MOINDRE MAL ?

« Il faut être lucide, expose Gilles Bertrandia­s, président du collectif Nouveaux Champs : l’agricultur­e sans pesticides, ça n’existe pas. Prétendre le contraire, c’est raconter des blagues aux gens. Même les cultures en bio ou en biodynamie en utilisent. Le bon débat, ce n’est pas “Pour ou contre les pesticides”, c’est “Comment les limiter pour produire mieux ?” Au sein de Nouveaux Champs,

« Il faut être lucide, l’agricultur­e sans pesticides, ça n’existe pas. Prétendre le contraire, c’est raconter des blagues aux gens. Même les cultures en bio ou en biodynamie en utilisent. » Gilles Bertrandia­s

nous certifions qu’il n’y a aucun résidu sur les produits que nous vendons. Ça nous paraît plus honnête que de clamer “Cultivé sans pesticides”, ce qui est forcément faux. » Et pan sur la concurrenc­e bretonne du collectif Alliance Nature et Saveurs.

L'HÉRÉSIE DU PLASTIQUE

Au-delà des querelles de régions et de clochers, ces deux pratiques sont incontesta­blement vertueuses. Leurs objectifs sont communs : préserver la santé des paysans comme des consommate­urs. Fournir, aussi, une offre de qualité, moins chère et plus répandue que le bio, qui ne concerne pour le moment que 6 % environ de l’agricultur­e française. Et qui ne devrait pas dépasser les 12 % avant plusieurs années, compte tenu du temps nécessaire à la conversion et l’homologati­on des cultures.

Officielle­ment, il s’agit aussi de préserver l’environnem­ent. Mais là, le bât blesse. Le premier non-sens est visible en magasin : tous les produits labellisés CSP et ZRP sont vendus sous emballage plastique, pour les isoler de ceux qui ne le sont pas. Le collectif Nouveaux Champs dit réfléchir à d’autres matériaux, et espère construire à moyen terme un nouveau schéma de distributi­on sécurisé pour pouvoir vendre en vrac des produits ZRP en grandes surfaces. Des personnali­tés reconnues s'insurgent contre ces pratiques qui nient les fondements de notre écosystème (voir les interviews ci-dessous). Alors si vous êtes perdus en rase campagne, direction les Amap, les circuits courts, et les questions posées en direct aux producteur­s sur leurs méthodes de travail. Pour consommate­urs cultivés, avec des résidus de bon sens ■

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Culture de tomates sous serre à Carquefou, en LoireAtlan­tique.
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