Regal

« Quand je suis sur l’eau, cette énergie qui entre en moi, je sens le besoin de la retransmet­tre dans mon assiette. »

Jean Sulpice, chef de L’Auberge du Père Bise à Annecy.

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En longeant le lac vers le sud, le sentier du montagnard mène à L’Auberge du Père Bise, la nouvelle adresse de Jean Sulpice. Il a choisi le site le plus sauvage du lac d’Annecy pour poser ses valises. Les pieds dans l’eau du «petit lac» formé par le resserreme­nt du Duingt, le site est entouré de montagnes abruptes et de réserves naturelles. L’auberge paradisiaq­ue est coiffée par les imposantes dents de Lanfon et ses parapentis­tes virevoltan­ts. Jean Sulpice égrène les noms des sommets, cols et massifs alentour. Voilà moins de trois ans qu’il est installé à Talloires, mais cet amoureux de la montagne connaît déjà les lieux comme sa poche. Sa dernière adresse était perchée à 2 300 mètres, dans la station de sports d’hiver de Val Thorens. Après avoir fait ses armes en conditions extrêmes, il choisit le lac d’Annecy pour ajouter un nouveau chapitre à sa carrière. Il délaisse les skieurs pressés, les horaires des remontées mécaniques, les approvisio­nnements aléatoires, les tempêtes de neige… pour redescendr­e vers une vie plus douce. Mais le jeune chef en forme olympique n’est pas venu au bord du lac pour y couler des jours paisibles.

Quand il rachète l’Auberge du Père Bise à la fin de l’année 2016, il s’attaque à un monument de la gastronomi­e locale. « C’était une maison très réputée, que tout le monde connaissai­t dans la région », explique le nouveau propriétai­re. Dans ce restaurant, Marguerite Bise fut la deuxième femme française à obtenir trois étoiles au guide Michelin. La reine Elisabeth, Charlie Chaplin ou Fernand Point, pionnier de la gastronomi­e française, honoraient les lieux de leurs visites. À son tour, Jean Sulpice ambitionne de prolonger l’histoire de cette belle institutio­n. Il refait toute la maison pour y imposer sa cuisine. Le chef et ses 110 salariés sont aujourd’hui sur le pied de guerre.

Une cuisine entre lac et montagne

Il faut être un peu fou pour se lancer dans pareille entreprise… Jean Sulpice était l’homme de la situation. Il est du genre à se lever à 6 h un jour de pleine lune pour s’offrir un frisson dans l’eau fraîche du lac, sous le regard des montagnes qui s’éveillent. Ou bien il lève toute son équipe au petit matin pour rendre visite à une productric­e de bleu de Termignon qui retourne ses fromages à la lampe frontale, au fond de la vallée de la Maurienne. Et quand il est fatigué? Il fait du sport. « Je n’ai pas

l’impression de travailler», assure-t-il. Vous ne le surprendre­z pas à faire la sieste. Ses sorties en pleine nature le reposent et l’inspirent. Il y puise une énergie qu’il retransmet ensuite dans l’assiette. Jean Sulpice raconte par exemple comment sa recette magistrale d’omble chevalier, beurre maître d’hôtel à l’épicéa, lui est venue à l’esprit. Après une nuit neigeuse, lorsqu’un rayon de soleil chauffe les branches de sapin lourdes de neige, un paquet finit par tomber. Le chef est ému par la branche élastique qui remonte et se déploie, provoquant une déflagrati­on de senteurs d’épicéa… Version cuisine, la scène se déroule dans le cocon d’une assiette creuse sous cloche et met à l’honneur un omble chevalier déposé sur un radeau de sarments de vigne en équilibre sur un caillou brûlant (voir page 59). Pour Jean Sulpice, le lac est une inépuisabl­e source d’inspiratio­n. En s’approvisio­nnant auprès du pêcheur Florent Capretti, il s’assure des prises d’une fraîcheur inégalée, de l’omble chevalier aux écrevisses du célèbre gratin (voir ci-contre). Les goûteux crustacés entrent aussi dans la recette d’un oeuf de cane et sabayon de safran, des amuse-bouches, des sauces… Des recettes d’autant plus intenses qu’on y goûte les yeux plongés dans le majestueux lac d’Annecy

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L’architecte d’intérieur Xavier Salerio a repeint les murs en bleu canard et réorganisé l’espace pour ouvrir la vue sur le lac… Des travaux d’une grande élégance qui font la part belle au lac, en écho à la cuisine du chef.
L’Auberge du Père Bise a fait sa mue. L’architecte d’intérieur Xavier Salerio a repeint les murs en bleu canard et réorganisé l’espace pour ouvrir la vue sur le lac… Des travaux d’une grande élégance qui font la part belle au lac, en écho à la cuisine du chef.
 ??  ?? Les nouveaux propriétai­res de la maison Bise perpétuent des recettes qui ont marqué la fabuleuse histoire du restaurant. Jean Sulpice revisite le fameux gratin de queues d’écrevisses et le gâteau Marjolaine. Il propose aussi une carte rustique et ancrée dans le terroir : pâté de croûte de veau, canard colvert aux épices, escargots au beurre d’herbes, féra du lac en croûte de pain, truite de Savoie cuite au sel…
Les nouveaux propriétai­res de la maison Bise perpétuent des recettes qui ont marqué la fabuleuse histoire du restaurant. Jean Sulpice revisite le fameux gratin de queues d’écrevisses et le gâteau Marjolaine. Il propose aussi une carte rustique et ancrée dans le terroir : pâté de croûte de veau, canard colvert aux épices, escargots au beurre d’herbes, féra du lac en croûte de pain, truite de Savoie cuite au sel…
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Cette date correspond à l’année de la création du chalet Bise, né du mariage d’un employé de la Compagnie des bateaux, François Bise, avec la fille du pontonnier de Talloires, Marie Fontaine. Quatre génération­s Bise se sont succédées avant que Magali et Jean Sulpice ne rachètent la légendaire auberge.
L’annexe du restaurant gastronomi­que a été baptisée Bistrot 1903. Cette date correspond à l’année de la création du chalet Bise, né du mariage d’un employé de la Compagnie des bateaux, François Bise, avec la fille du pontonnier de Talloires, Marie Fontaine. Quatre génération­s Bise se sont succédées avant que Magali et Jean Sulpice ne rachètent la légendaire auberge.
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Jean Sulpice, est l’un des deux seuls pêcheurs profession­nels autorisés à pêcher sur le lac d’Annecy. Les restaurant­s du bord de lac s’arrachent ses poissons de première fraîcheur : féra, lotte, écrevisse, omble chevalier, perche, brochet… Le pêcheur, aux allures de Marcello Mastroiann­i jeune, est accompagné de son labrador, Cookie, un parfait ambassadeu­r de la gastronomi­e locale. Il adore les pommes et engloutit une féra chaque jour. Sans arêtes, s’il vous plaît !
Florent Capretti, qui approvisio­nne Jean Sulpice, est l’un des deux seuls pêcheurs profession­nels autorisés à pêcher sur le lac d’Annecy. Les restaurant­s du bord de lac s’arrachent ses poissons de première fraîcheur : féra, lotte, écrevisse, omble chevalier, perche, brochet… Le pêcheur, aux allures de Marcello Mastroiann­i jeune, est accompagné de son labrador, Cookie, un parfait ambassadeu­r de la gastronomi­e locale. Il adore les pommes et engloutit une féra chaque jour. Sans arêtes, s’il vous plaît !
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