Quand le beaufort prend de l’altitude
Éleveur et fromager, Gaël Machet produit un beaufort d’alpage d’exception. De juin à fin septembre, il pratique deux traites par jour et façonne quatre à cinq meules selon une recette ancestrale. Un rythme à prendre!
La recette de mousse de beaufort de Jean Sulpice est née de la rencontre avec un fromager sans égal, Gaël Machet. «Je ne suis pas capable de comprendre un
produit en lisant un bouquin», explique le chef, qui adore partager une tranche de vie avec des producteurs engagés. Cap sur l’alpage du Ritord à Pralognan-la-Vanoise ! Par l’odeur du beaufort alléchés, tels des pèlerins adorateurs de fromage, nous nous enfonçons dans la vallée de Chavière depuis le dernier parking du bout de la route. Les plantes qui font la typicité du lait d’alpage apparaissent le long du chemin: l’achillée millefeuille, les silènes, la pimprenelle… les mêmes herbes et fleurs que Jean Sulpice déposera sur sa mousse pour réinterpréter l’alpage. Au loin tintent les cloches d’un troupeau. Falaises, glaciers, tapis d’herbes… tout est grandiose, gigantesque, écrasant de beauté. Les marmottes sifflent; nous arrivons à l’alpage du Ritord. Gaël Machet s’est accordé une petite pause devant la fromagerie avec une collègue. «On a fait la grasse
matinée aujourd’hui », se réjouissent les fromagers, qui ont mis leur réveil un peu plus tard que d’habitude, à 4 h 45… Les yeux sont cernés mais les mines réjouies, c’est dans ce coin de paradis qu’ils fabriquent le divin beaufort d’alpage AOC.
40 kilos de bonheur
Grâce au parc national, il n’y a pas de remontées mécaniques dans notre champ de vision. « Derrière
cette montagne, c’est Méribel, là c’est Courchevel,
là, Val Thorens.» Les stations de sports d’hiver ont considérablement enrichi ces vallées autrefois habitées par de modestes bergers qui possédaient deux, trois, cinq vaches tout au plus. Qui dit petit troupeau dit petit fromage. En Haute-Savoie, les bergers faisaient des reblochons. En Tarentaise, le modèle de production était différent. Les bergers se regroupaient pour produire de gros fromages qui avaient l’avantage de se conserver plus longtemps. Avec ses 40 kg, le beaufort passe amplement l’hiver ! Le fromager, pas chauvin, a un faible pour le comté, avec lequel on peut jouer davantage encore sur l’affinage. Le beaufort s’en distingue par son goût fruité unique et son talon concave. Cette cambrure permettait autrefois aux bergers de descendre leur fromage de la montagne à dos de mulet sans qu’il ne glisse de son cercle. Maintenant, Gaël descend le lait en 4x4 à l’alpage tous les matins. Quand les passages les plus difficiles de la route caillouteuse sont derrière lui, il coupe parfois le moteur, le temps d’une microsieste. Le fromager compatit avec ses prédécesseurs, dont la vie était encore plus rude. « Je me demande comment ils réussissaient à faire un fromage, d’ailleurs
80% étaient foirés.» On est bien heureux que la recette des bons fromages se soit perpétuée !
« Je me demande comment ils réussissaient à faire un fromage autrefois ! D’ailleurs 80 % étaient foirés. » Gaël Machet, producteur de beaufort d’alpage AOC.