La guerre du sucre est déclarée
LES FRANÇAIS CONSOMMENT CHAQUE ANNÉE MOINS DE CONFITURE, MAIS DE MEILLEURE QUALITÉ. EXPOSÉS COMME DES JOYAUX, LES POTS PARADENT DANS DES MAGASINS QUI LEUR SONT ENTIÈREMENT DÉDIÉS. UNE MONTÉE EN GAMME QUI ENTRAÎNE PAS MAL DE CHANGEMENTS… À COMMENCER PAR UNE GUERRE DU SUCRE. TEXTE HÉLÈNE PIOT
La confiture, vous êtes sûr ? Il y a fort à parier qu’une bonne partie des pots que vous achetez ne porte pas la mention « confiture » mais « spécialité à base de fruits ». L’explication ? Quand une préparation contient entre 45 g et 55 g de sucre pour 100 g de produit fini, elle n’a pas droit à l’appellation confiture. Que dit la loi ? jusqu’à 45 g, c’est une « confiture allégée », au-delà de 55, c’est une confiture. Entre les deux, elle ne dit rien. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que 55 g de sucre, c’est énorme, et que le goût et la santé ont tout à gagner à abaisser ce taux. Le législateur, si prompt à dégainer des nutri-scores ces derniers temps, ne bouge pas. Encouragé dans son inertie par le lobby du sucre ? C’est possible. Mais les choses pourraient changer.
Pas simple de faire une bonne confiture
Longtemps éparpillés aux quatre coins de la France, les artisans se mobilisent pour se
constituer en fédération. « Nous voulons obtenir le droit d’utiliser le mot confiture sur nos pots, dès lors qu’ils contiennent 50 g de sucre pour 100 g de produit fini, revendique leur président, Stéphan Perrotte, meilleur confiturier du monde 2015. C’est quand même fou, nous utilisons plus de fruits et moins de sucre que les industriels, et c’est nous qui sommes pénalisés ! » Pour discuter avec les pouvoirs publics, un regroupement était indispensable. « Être regroupés en fédération nous permettra de nous démarquer des industriels. Pour le moment, c’est comme si nous n’existions pas. Des fabricants formidables, des travailleurs acharnés de la qualité comme Christine Ferber, l’orfèvre alsacienne qui a donné ses lettres de noblesse au métier, appartiennent à la catégorie professionnelle des transformateurs de fruits et de légumes, comme Findus ou Bonduelle, et il nous faut cinq ans d’activité pour être reconnu comme artisans. L’idée, c’est de créer une filière de formation pour les jeunes. Actuellement, pour
« C’est quand même fou, nous utilisons plus de fruits et moins de sucre que les industriels, et c’est nous qui sommes pénalisés ! »
Stéphan Perrotte
se former, il n’y a guère que l’école d’Alain Ducasse à Yssingeaux (43) ou celle de Gaston Lenôtre à Plaisir (78). Il faut créer une mention complémentaire reconnue par l’Éducation nationale, afin que les bonnes pratiques se propagent. Parce que ce n’est pas simple, de faire une bonne confiture ! La preuve, c’est que tous les grands chefs préfèrent travailler avec nous plutôt que de faire leurs propres confitures. »
Pas plus de 20 g par jour
Abaisser le taux de sucre, à une époque où le diabète explose, est une urgence. « Dans une confiture [étiquetée comme telle, c’est-à-dire contenant plus de 55 g de sucre pour 100 g de produits finis, NDLR], chaque cuillerée à café de 10 g équivaut à deux
morceaux de sucre. Faites le calcul : dans un pot de Bonne Maman standard à 370 g, s’empilent pas moins de 74 morceaux de sucre », dévoile la nutritionniste
Ysabelle Levasseur. Et encore, Bonne Maman fait partie des “bonnes” marques. Parmi les premiers prix de distributeurs, c’est bien pire. Voilà pourquoi il ne faut pas dépasser le seuil de 20 g par jour, soit deux cuillerées à café, incluses dans un petit déjeuner idéalement bien pourvu en fibres (pain complet, fruits frais non pressé) afin de limiter le pic de glycémie qui
s’ensuit. Les petits pots format hôtel à 30 g, c’est déjà beaucoup trop. L’idée n’est pas de s’interdire quoi que ce soit, mais de garder en tête qu’il s’agit d’un
aliment plaisir. Et que même si vous vous limitez à 1 c à soupe rase tous les matins, vous êtes déjà à 2 ou 3 kg de sucre par an… »
Problème : le sucre est à la fois un conservateur et un gélifiant. D’après les industriels, difficile de s’en passer. Sans lui, d’autres produits sont nécessaires pour assurer la longue conservation attendue des pots achetés dans le commerce. On trouve ainsi de drôles d’ingrédients dans certaines préparations : benzoate de sodium ou dioxyde de soufre, c’est-à-dire des sulfites sous le sigle E220, pour conserver ; lactate ou citrate de calcium pour gélifier et acidifier… Une liste qui fait bondir les professionnels de santé. « Ces additifs ne sont pas catalogués comme dangereux pour le moment, commente Ysabelle
Levasseur. Mais personne ne sait quel effet ils peuvent avoir tous les jours sur un organisme pendant 20 ans !
Une bonne confiture est artisanale, réalisée avec des fruits de saison, et 3 ou 4 ingrédients au maximum : des fruits, du vrai sucre, éventuellement de la pectine naturelle et du jus de citron. C’est tout ! S’il y a autre chose, passez votre chemin. » D’autant plus
que l’argument de la conservation est balayé d’un revers de manche par le confiturier Stéphan Perrotte : « Fini, le temps où il fallait mettre beaucoup de sucre, ou le remplacer par autre chose, pour qu’un pot se conserve bien. Avec l’évolution des techniques de stérilisation, 50 g de sucre pour 100 g de produit fini, c’est bien suffisant sans qu’il y ait besoin d’ajouter quoi que ce soit. »
Moins de sucre, plus de goût
Moins de sucre, mais du vrai, des parfums plus puissants, des fruits bio et si possible français, c’est exactement la tendance observée par Quitterie Miriel. Pour cette consultante en marketing passée chez Nestlé et Pepsi, le marché de la confiture s’inscrit parfaitement dans le contexte alimentaire du moment : « Comme pour la viande ou le vin, les consommateurs veulent manger moins, mais mieux. Ils préfèrent sélectionner de petits pots dans des magasins dédiés, beaux comme des bijouteries, comme La Chambre aux Confitures ou La Confiture Parisienne, que craquer pour des pots en format familial ou des confitures allégées. Bien sûr, cela ne concerne pas 100 % des clients, mais on sent une très nette envie de se faire plaisir avec des aliments authentiques et sains, bons pour les consommateurs, pour les producteurs et pour la planète. Avec des ingrédients qu’ils peuvent tracer, cultivés sans pesticides. »
Les fabricants l’ont bien compris : oranges de Corse, rhubarbe du Pas-de-Calais (Monoprix Gourmet), figues de Provence ou pruneaux du Sud-Ouest (Bonne Maman) ont envahi les rayons. « Pour le client, c’est rassurant. Et pour le producteur, c’est une façon d’insuffler de la qualité dans un produit standard, analyse la spécialiste. Le leader du secteur, Bonne Maman, explore ces deux pistes : un ancrage régional très fort ; et davantage de fruits avec sa gamme Intense, vendue dans des pots sans étiquette papier pour un côté plus brut, nature et authentique. » Des pistes également suivies par le groupe corrézien Valade, avec ses deux gammes, Léonce Blanc et We Bio. Mais l’ancrage régional a aussi ses limites. Voulant célébrer tous les fleurons de son île, Jean-Michel Querci, le fondateur de O Mà Gourmandises, en Corse, l’a appris à ses dépens. Il a incorporé du brocciu à ses préparations aux châtaignes ou au cédrat. Les autorités n’ont pas tardé à lui tomber dessus. « On nous a dit que nous étions hors-laloi en appelant ça des confitures. Nous n’avons pas le droit à cette dénomination en raison de la présence de fromage, alors que l‘appellation confiture de lait est autorisée ! » Fédérés ou pas, les artisans ont encore du travail pour faire bouger les lignes…