Regal

Ces hommes qui cueillent le bar

- TEXTE ET PHOTOS JEAN-PAUL FRÉTILLET RECETTES ALEXANDRE COUILLON

Il est une heure du matin et c’est presque la fin de l’été. Le ciel et l’océan se confondent dans un noir profond que la lumière de la lune ne parvient pas à troubler. L’Exocet (comme le poisson volant) de David Penisson file à une dizaine de noeuds sur une mer aux vagues pour le moment timides. Il s’éloigne du port de l’Herbaudièr­e, ancré à la pointe nord de l’île de Noirmoutie­r, point de départ et d’arrivée, de cette marée. C’est la saison du bar. Le moment où il doit prendre des forces pour affronter l’hiver et préparer la fraie. Combien mordront aux hameçons des trois pêcheurs à bord ? « Si la houle se lève, ça va brasser et réveiller le poisson. On aura plus de chance d’en prendre », raconte Serge, l’un des deux matelots à bord, les deux pouces agrippés aux bretelles de sa combinaiso­n en ciré jaune. « Avant, il suffisait de lancer une ligne pour que cela morde, maintenant, il faut aller chercher le poisson et on ne le trouve pas toujours », tempère Samuel, son collègue, plus âgé. David Penisson n’a pas trente ans et il en paraît dix de moins. La jeunesse farde les stigmates d’une nuit trop courte et des tracas de l’aube. L’ordinateur de bord ne répond plus et le jeune patron n’a plus accès à l’historique de ses lieux de pêche. Contre la technique en berne, il s’en remet à son instinct pour lancer ses lignes aujourd’hui. Depuis onze ans qu’il part en mer presque chaque jour, le pêcheur connaît les coins de l’océan. « Ce sera un peu à l’aveugle quand même, modère-t-il avec sa voix douce, et avec un peu de chance… on verra bien. »

MYSTÉRIEUS­E PALANGRE

La palangre, l’autre nom pour désigner cette pêche artisanale à l’hameçon, ne manque ni de piquant, ni de mystère. Rien à voir avec le chalut, technique de pêche plus expéditive, un grand filet tiré par le bateau, qui ramasse tout sur son passage et déverse à bord le poisson en vrac, sonné et souvent cabossé. Leur palangre est une ligne de trois kilomètres, émaillée de 480 hameçons garnis d’un appât que le poisson choisit de saisir ou d’ignorer. « C’est beaucoup plus de travail pour le pêcheur, conçoit David Penisson, mais c’est ma façon de voir la mer et de rapporter du beau poisson au port. » Il fait encore nuit et, en attendant l’aurore, l’heure à laquelle les poissons plongent

et mordent à l’hameçon, Samuel et Serge appâtent les lignes avec des petits crabes tandis que David taille des encornets géants en petites lamelles. On n’aguiche pas le bar avec n’importe quoi. « Ils ont déjà le ventre plein, alors il leur faut au moins un dessert, une friandise pour qu’ils regardent l’hameçon », explique Serge. « Si on les appâte avec de la sardine, le poisson n’est pas si bête, il préférera toujours la plus fraîche qui frétille autour de lui que celle faisandée accrochée à l’hameçon », ajoute Samuel. Le bateau avance à faible allure et David lance les lignes, d’un geste véloce, de bas en haut, comme si à chaque mouvement, il jetait une pierre par-dessus bord, avec toute l’agilité nécessaire pour empêcher que les fils s’emmêlent et que l’hameçon harponne la main.

ÇA MORD À L’AURORE

C’est l’heure d’aller dormir en attendant l’aurore. Le bateau tangue comme un berceau. Deux heures plus tard, la lumière pointe sans soleil. Le ciel est chafouin et la mer déjà nerveuse. Serge se frotte les mains : « Ça va énerver le poisson, ça devrait mordre, et avec 20 noeuds de plus, ce serait idéal. » Le vent a entendu le matelot et l’Exocet se balance comme un rocking-chair. Les pêcheurs s’accrochent dans leurs bottes, tantôt raides comme des brise-lames, tantôt souples comme des anguilles agiles, épousant les mouvements chaotiques du bateau et essuyant chaque vague d’une violence indifféren­te. Le bruit métallique

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Alexandre Couillon travaille selon la technique ikejime pour limiter le stress des poissons au moment de la découpe, ici un thon.
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David Penisson vient de pêcher un beau bar de plusieurs kilos.

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