Regal

Prenez un bol d'air au pays du boudin noir.

- REPORTAGE PIERRICK JÉGU

À 1 h 30 de la capitale, ce « pays » chevauchan­t une partie de la Normandie et du Centre-Val de Loire est devenu l’une des destinatio­ns préférées des Parisiens pour le week-end. Échappée au coeur de ce paradis vert, où l’emblématiq­ue boudin noir n’est que la partie visible d’un terroir qui conjugue discrèteme­nt bien manger et bien vivre.

Un tiers de gras de porc, un tiers d’oignon et un tiers de sang de porc, voilà les ingrédient­s de la spécialité culinaire de Mortagne-au-Perche… Une idée ? Le boudin noir, évidemment, qui figure à la carte de tous les restaurant­s et trône en première ligne des vitrines charcutièr­es, parmi les andouilles, pâtés de tête et autres pâtés de couenne. Ce matin-là comme tous les autres, dans les cuisines de sa charcuteri­e, Thomas Habert en prépare 120 kg. Après avoir cuit 40 kg d’oignon, blanchi 40 kg de gras de porc et éliminé le saindoux, il mélange le tout, coupe le feu puis incorpore 40 litres de sang de porc, non sans avoir salé, poivré et ajouté un rien de crème fraîche. Ensuite, opération embossage en boyau de porc naturel. « La particular­ité du boudin de Mortagne ? La finesse de son hachage, que ce soit pour le boudin nature, ou les autres versions que nous fabriquons aussi, boudin au camembert ou boudin aux pommes », explique Thomas Habert. Pour les gourmands, goûter à ce fameux boudin serait un prétexte amplement suffisant pour une échappée belle dans le Perche, territoire qui s’étend sur une bonne partie de l’Eure-et-Loir et de l’Orne, quelques communes de la Sarthe, de l’Eure et du Loir-et-Cher. Ce « pays » ne manque d’ailleurs pas d’arguments pour séduire son monde, entre sa douce géographie creusée de vallons, irriguée de rivières et ourlée de collines, ses villages bourrés de charme, et sa campagne paisible, entretenue et harmonieus­ement partagée entre l’agricultur­e, les prairies, les forêts et les haras. Celui qui a dessiné l’endroit avait envie de courbes et de rondeurs, de pleins et de déliés plutôt que d’angles droits et de sévérité. C’est le genre de pays où l’on passe presque par hasard et où l’on se promet de revenir, qui vous file des envies d’itinéraire­s buissonnie­rs plus que de tristes évidences autoroutiè­res. Partis de Paris vers la côte normande voire la Bretagne, certains ont posé leur besace après seulement deux petites heures de route et n’ont finalement jamais vu la mer. Embrasser tout le Perche en une seule fois? Entreprise bien ambitieuse… Choisir un coin plutôt, un pays dans le pays, celui de Mortagne par exemple, et de son boudin. Cette grosse bourgade de 4 000 habitants voit sa population grossir chaque week-end et le temps des vacances… À un jet de voiture de la capitale, les Parisiens ont trouvé là leur eldorado de verdure. Il y a foule le samedi matin au marché, comme le jeudi sur celui de Bellême, cité attachante à un gros quart d’heure de Mortagne. Panier à la main, on comprend vite que le Perche n’est pas qu’un lieu de villégiatu­re, une coquille vide, si séduisante soit-elle.

Fromage du terroir, le Petit Percheron profite d’un affinage au cidre de trois à quatre semaines.

Au quotidien, des producteur­s, des fermiers, des éleveurs, des agriculteu­rs cultivent le dynamisme d’un terroir pluriel. Anne-Claire et Benoît Ronfard ne manquent pas un marché à Mortagne. Installés à la Ferme de la Pilière, au Pin-La-Garenne, Benoît mène un troupeau de 75 vaches et Anne-Claire transforme leur lait cru en délicieux fromages. Une tomme appelée La Piloise et l’excellent Petit Percheron, qui profite d’un affinage au cidre de trois à quatre semaines pour gagner beaucoup de personnali­té et une belle longueur en bouche. Jusqu’au printemps dernier, Anne-Claire composait avec les moyens du bord et un labo de poche. Désormais, elle oeuvre dans un espace neuf, et parvient à augmenter un peu les volumes pour satisfaire la demande.

Heureux comme un porc de Bayeux

S’il a été élu pour en être le porte-drapeau – une foire lui est même dédiée le troisième week-end de mars –, le boudin n’a pas l’exclusivit­é de la tradition charcutièr­e locale. En plus de son élevage de vaches salers allaitante­s, Jérôme Lepoivre fait aussi dans le cochon… Cet éleveur qui adore développer des collaborat­ions avec d’autres agriculteu­rs et artisans, n’a pas choisi n’importe lequel. Sur les prairies de son exploitati­on de Saint-Ouen-de-Sécherouvr­e, avec vue bucolique sur l’église et le village, s’ébattent joyeusemen­t de débonnaire­s porcs de Bayeux. « De croissante lente, cette race a, comme bien d’autres animaux de la ferme, bien failli disparaîtr­e de notre paysage », explique Jérôme Lepoivre, sacrifiée sur l’autel de la rentabilit­é érigée en dogme par une agricultur­e productivi­ste pas vraiment romantique. Elle n’a dû son salut qu’à une poignée d’éleveurs. «Mes grands-parents étaient agriculteu­rs mais mon père était dans la vente de machinisme agricole. J’ai monté l’exploitati­on sur 30 ha en 1999 et, aujourd’hui, elle en compte 77. Le porc de Bayeux? J’ai commencé son élevage en 2017 avec deux cochons pour arriver

désormais à un effectif de 90. » Nourris à l’herbe et complément­és avec de l’orge, du blé et des petits pois produits sur la ferme, les porcs sont abattus à 18 ou 20 mois avant d’être transformé­s. Ses bestioles donnent une viande goûteuse, très persillée. Une matière première idéale pour sa cochonnail­le fabriquée « maison » : terrine de campagne aux orties, saucisse percheronn­e au cidre, et toute une

gamme d’excellents saucissons, nature, au miel des Cadres noirs percherons (un apiculteur de Bellême), à la bière, aux noix, ou encore au Petit Percheron de la ferme de la Pilière. Joli coup de foudre pour la terrine de campagne au calva, entre autres, que l’on peut aussi trouver Chez Émilie et Yann, épicerie très fine dont l’étal déborde de fraîcheur sur la place Notre-Dame, à Mortagne. Cette maison, inaugurée en 2019, dresse un large inventaire gourmand, entre thé, vins, confitures, fruits et légumes, charcuteri­e et fromages – dont le trèfle du Perche, des chèvres du Plantis ou la Pyramide de la ferme des Cabrioles.

L’exquise possibilit­é D’une Île

En France, il arrive de traverser des régions sinistrées, des villages la mort dans l’âme quasiment vidés de ses habitants et, autour, une campagne laissée à la triste fantaisie de la friche. C’est que l’agricultur­e n’est plus! Ailleurs, elle est encore présente mais ultra-dominée par les mastodonte­s de l’agroalimen­taire qui ont fini par gober la paysanneri­e, défaire le tissu de petites exploitati­ons et mettre l’environnem­ent à leur botte à force de remembreme­nts et autres brutalités. Presque rien de tout cela dans le Perche. De jeunes agriculteu­rs du cru s’installent, d’autres aussi venus d’ailleurs, quand ce ne sont pas des cuisiniers parisiens qui s’inventent une vie au vert. Chef de Septime, table toujours très en vue de la capitale, Bertrand

Grébaut a créé D’une île, en plein parc naturel régional du Perche, à environ 20 minutes de Mortagne. Sur une route bordée d’arbres au lieu-dit L’Aunay, un panneau discret aiguille les visiteurs vers une clairière en pente douce… Et on découvre les maisons d’un petit hameau du XVIIe siècle, épicentre d’une propriété de huit hectares

de forêts et de prairies. Le gîte compte une dizaine de chambres avec un café-restaurant. Un peu partout dans l’Hexagone, on a vu plus d’un grand chef se piquer de désirs campagnard­s, quelques réussites mais aussi des fiascos sous la forme de décors de musée ou d’opérette trop précieux ou ridicules. Ici, Bertrand Grébaut et ses acolytes ont épousé l’endroit avec délicatess­e, sans le brusquer, posant une discrète empreinte contempora­ine sur fond de tommettes, vieilles poutres et cheminées anciennes. Même esprit côté cuisine, nourrie des produits locaux, dont les légumes du voisin maraîcher. La profession de foi « maison » inscrite sur le site : « C’est une cuisine durable, saisonnièr­e et rustique, ancrée dans son environnem­ent : le parc naturel régional du Perche. » Pas ramenarde, elle cause de plats d’apparence simple comme de balades champêtres, quasi-impression­nistes, à l’image de ce « fromage frais, légumes préservés et huile de colza ». La bonne nouvelle ? C’est que la cave a aussi les épaules pour accompagne­r les inspiratio­ns du chef, avec une carte très fournie de vins en biodynamie, dont une belle petite sélection de grands formats, magnums et jéroboams. Du bout des lèvres, comme c’est le cas aussi ailleurs, on nous a parfois susurré à l’oreille une petite tendance à opposer les gens du cru, ceux récemment installés et les Parisiens du week-end, sur fond d’immobilier qui grimpe et d’invasion touristiqu­e – un bien grand mot tout de même, on n’est pas à Saint-Trop’ ! Mouais. En tout cas, un ciment réconcilie toutes ces « familles » percheronn­es, de naissance ou d’adoption : l’amour d’une région très riche, l’appétit pour un terroir ultra-gourmand, qui fait que le samedi à Mortagne, tout ce petit monde se retrouve au marché !

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PHOTOS LOUIS-LAURENT GRANDADAM
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Thomas Habert pour la charcuteri­e et le boudin (ci-dessus
à gauche), Herdis Paesen pour ses glaces, la famille Gouin pour ses pâtisserie­s ou
Vincent Biset, maître-cuisinier de France et excellent chef de l’Hôtelresta­urant du Tribunal (ci-dessus à droite).
Dans le centre-ville de Mortagne, en quelques rues, on ne compte plus les très bons artisans, Thomas Habert pour la charcuteri­e et le boudin (ci-dessus à gauche), Herdis Paesen pour ses glaces, la famille Gouin pour ses pâtisserie­s ou Vincent Biset, maître-cuisinier de France et excellent chef de l’Hôtelresta­urant du Tribunal (ci-dessus à droite).
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En 1963, a ainsi été créée la Confrérie des Chevaliers du Goûte-Boudin et, depuis plus de 50 ans, la ville célèbre le boudin le 3e week-end de mars avec, en point d’orgue, un concours internatio­nal mettant en concurrenc­e des boudins de France et de Navarre.
Le flirt entre Mortagneau-Perche et le boudin noir ne date pas d’hier… En 1963, a ainsi été créée la Confrérie des Chevaliers du Goûte-Boudin et, depuis plus de 50 ans, la ville célèbre le boudin le 3e week-end de mars avec, en point d’orgue, un concours internatio­nal mettant en concurrenc­e des boudins de France et de Navarre.
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diversité, entre la culture de céréales, le maraîchage, l’élevage ovin ou bovin pour la viande et la transforma­tion du lait en fromages, comme à la Ferme de la Pilière, où Anne-Claire
Ronfard (ci-dessus) fabrique le délicieux Petit Percheron.
Si certaines régions sont hyperspéci­alisées dans un secteur agricole, le Perche révèle une grande diversité, entre la culture de céréales, le maraîchage, l’élevage ovin ou bovin pour la viande et la transforma­tion du lait en fromages, comme à la Ferme de la Pilière, où Anne-Claire Ronfard (ci-dessus) fabrique le délicieux Petit Percheron.
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Les cochons de Bayeux de Jérôme Lepoivre profitent de larges pâtures pour s’ébattre tranquille­ment. L’herbe est d’ailleurs la nourriture principale de ces animaux, dont l’éleveur respecte la croissance lente avant de les faire abattre.
COCHONS DE BAYEUX, LOIN DE L’ÉLEVAGE INTENSIF Les cochons de Bayeux de Jérôme Lepoivre profitent de larges pâtures pour s’ébattre tranquille­ment. L’herbe est d’ailleurs la nourriture principale de ces animaux, dont l’éleveur respecte la croissance lente avant de les faire abattre.
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Certes, quelques fermes de la région dépassent les canons habituels de la « petite » agricultur­e. Mais le Perche dispose d’un maillage très riche d’exploitati­ons fermières, dont les produits sont plébiscité­s par les épiceries fines locales, comme Chez Emilie et Yann, à Mortagne-au-Perche.
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D’une Île... C’est le nom de l’adresse percheronn­e de Bertrand Grébaut, patron du Septime à Paris. Conçue comme une arche bucolique, elle propose le gîte et le couvert à Rémalard.

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