Fin de journée pour le bon cliché
C’est lors d’un voyage au Sénégal de plusieurs semaines qu’Omar a capturé cette scène de rue, jouant sur les clairs-obscurs en fin de journée. Il revient pour nous sur cette image bien calculée.
ur l’île de Gorée au Sénégal, la Maison des Esclaves est un lieu symbolique et chargé d’Histoire que l’on peut reconnaître facilement avec ses escaliers typiques et sa couleur ocre. J’étais tombé sur ce lieu dans un article avant de m’y rendre. Je me disais que l’architecture et les couleurs étaient originales et que je devais y faire un tour. Lors d’une journée ensoleillée, j’y suis allé une première fois, entre midi et 13 h. Il s’agissait juste d’un repérage. Le seul problème de ce lieu, c’est qu’il est très touristique. Il y a vraiment beaucoup de monde. Parfois, c’est très bien, mais dans la plupart des cas en photo, ce n’est pas terrible. Les meilleures photos que je retiens de ce jour-là ont été prises lors de la fermeture. La première était à la pause de midi. Je ne m’attendais pas à faire une image de ce moment, notamment parce que je sais que cette lumière n’est pas celle qui me plaît le plus. C’était l’image d’une femme avec une espèce de robe turquoise que j’ai prise quand les gardiens lui ont demandé de partir. Lorsque j’ai réalisé cette première image, je me suis dit que je reviendrais en fin de journée pour voir comment la lumière tombait. J’utilise une appli qui s’appelle « Sunseeker » et j’ai vu que cela pouvait donner des ombres sympas. C’est bien lors de la fermeture en fin d’après-midi que j’ai pris la photo retenue ici. Les deux personnes que l’on voit ne sont pas des visiteurs mais les gardiens des lieux. Ils étaient en train d’évacuer le public. Je suis resté vraiment jusqu’au bout et jusqu’à ce qu’on me dise : « Ça suffit, il faut y aller! » Mais j’ai réussi à obtenir cette photo justement parce qu’il n’y avait plus personne devant ce monument. À la base, je cherchais à faire une image différente de celle prise à midi où il y avait juste un sujet. Ce que je voulais, c’était une composition avec plusieurs plans. J’ai eu la chance que les gardiens aient des chemises blanches et la peau noire. On était en fin de journée, assez tard, le soleil commençait à baisser, ce qui fait que dans la partie basse de l’édifice, il n’y avait déjà presque plus de rayons. Généralement, dans ces cas-là, les murs ou le fond sont toujours un peu plus éclairés qu’une personne au premier plan. Souvent, cela donne lieu à des effets de silhouette. Je me suis alors dit que j’allais jouer cette carte, sachant que les chemises blanches allaient ressortir claires et que la peau noire donnerait un effet de silhouette. J’ai tenté, sans garantie que ça allait marcher.”
Voilà peu de temps, depuis la Covid tout au plus, qu’Omar arpente les rues à travers le monde à la recherche de moments scéniques. Mais le photographe est devenu en l’espace de quelques années un expert au point aujourd’hui de produire régulièrement des clichés aussi étonnants. Il nous dit s’être tout droit inspiré de photographes tels que
Steve McCurry ou encore Alex Webb, tous deux maîtres dans l’analyse de la lumière. “En photographie de rue, il faut parvenir à comprendre la scène. L’aspect lumière est primordial. Selon moi, le plus important, dans l’ordre, ce sont la lumière, le moment et la composition. Si tu arrives à réunir ces trois composantes-là, il y a de grandes chances que ta photo soit réussie. Le seul problème, c’est que c’est rare d’avoir les trois en même temps.” D’autant plus que le photographe affectionne des lumières bien particulières pour la photographie de rue. Selon lui, la lumière idéale, “c’est un jour de soleil, avec une fenêtre de tir de deux ou trois heures le matin et en fin d’après-midi”. À l’inverse, il fuit la lumière de midi, trop verticale et ayant tendance à aplatir les sujets et à ne pas mettre en valeur les visages à cause d’ombres trop dures. “Je préfère une lumière un peu directionnelle, lorsque le soleil est déjà assez horizontal. Cela te permet de jouer avec les ombres et les contrastes.” Bref, des conditions lumineuses exigeantes que l’on ne trouve malheureusement pas à chaque session de rue. Omar en a fait les frais lors d’un voyage à Hong Kong
Aljiwari
Le plus important, dans l’ordre, ce sont la lumière, le moment et la composition
où le temps était gris durant plusieurs jours. Il shoote depuis quelque temps au Leica Q2 ou Q3, avec l’avantage dans ce cas de pouvoir évaluer directement dans le viseur son image exposée. “Quand tu fais de la street, c’est dur de penser à tout en même temps.” Mais techniquement, la photo qu’il nous présente ne relevait pas d’un challenge côté prise de vue grâce aux lumières du soir. “Ici, ce n’est pas le plus délicat. La plage dynamique est quand même plus réduite que lorsque tu as des scènes à fort contraste. J’aurais eu plus de problèmes si le monument ne prenait pas tout le cadre et qu’il restait du ciel. Le capteur aurait eu plus de difficulté parce que la plage dynamique aurait été beaucoup plus étendue. Et donc, dans ce cas-là, c’est à toi de faire un compromis en fonction de ce que tu souhaites, de ce que tu veux exposer.”
Omar s’est rendu deux fois à la Maison des Esclaves et a d’abord pris ce premier cliché vers 13 h lorsqu’il faisait des repérages. La lumière est alors verticale et dure comparée à la photo ci-dessus, prise en fin d’après-midi au moment où le soleil disparaissait. Pour ses sorties, le photographe se donne des créneaux de deux ou trois heures en début ou en fin de journée, là où il est plus sûr de trouver des lumières favorables à une interprétation. Pour appréhender la lumière sans bien sûr perdre l’instantanéité de ses clichés, le photographe se sert d’applications qui permettent de connaître à l’avance là où tombera la lumière (pour sa part Sunseeker).