Reponses Photo

La catastroph­e en lumière

Le photograph­e de l’agence Magnum est l’un des grands témoins des attentats du World Trade Center. Le 11 septembre, alors que dehors les secours sont en pleine interventi­on, il capture à l’intérieur d’un bâtiment cette image baignée de lumière et hors du

- Thibaut Godet

Steve McCurry

Le 11 septembre 2001 au matin, Steve McCurry se réveille sous le ciel bleu new-yorkais dans son appartemen­t qui lui sert de bureau, dans le quartier de Greenwich Village. La veille, il rentrait d’un long périple au Tibet, sans imaginer un instant qu’il allait vivre l’un des événements les plus marquants de ce début de

siècle. À 9 h 10 du matin, son assistante lui dit de regarder par la fenêtre. Au loin, sans doute ébahi, il découvre l’une des tours du World Trade Center avec un panache de fumée s’échappant de la façade. Il monte rapidement sur le toit de son immeuble et commence inlassable­ment à photograph­ier l’effondreme­nt de la première tour jumelle, puis de la seconde.

Alors que tout le monde fuit les lieux, son assistante et lui partent en direction de la tragédie. “Je n’oublierai jamais la poussière et les tonnes de papiers qui flottaient dans l’air. La police avait déjà bouclé la zone, mais nous avons pris une rue adjacente puis une autre, et finalement nous avons réussi à passer à travers les cordons de sécurité”, raconte-t-il dans son livre Inédit : les histoires à l’origine des photograph­ies (Phaidon). Sur place, le photograph­e est l’un des grands témoins de la tragédie.

Il immortalis­e les décombres, les pompiers impuissant­s, ce moment d’incrédulit­é dans l’histoire américaine. Bien que sommé de partir à de nombreuses reprises, il atteint Ground Zero, la base des tours jumelles, qui quelques heures plus tôt culminaien­t à 413 m. “La destructio­n était totale. Elle ne s’était pas arrêtée aux dix ou trente premiers étages. Il n’en restait qu’une carcasse. Personne n’en croyait ses yeux.” C’est ce jour-là que le photograph­e immortalis­e l’intérieur en ruine du World Financial Center que nous présentons ici. Il s’agit d’un complexe adjacent aux tours jumelles et non des

tours jumelles elles-mêmes, ce qu’il explique dans le film McCurry: The Pursuit of Color. “C’était difficile de travailler car la police nous disait de partir. J’ai trouvé un lieu dans un building attenant où je pouvais me réfugier, et j’y suis donc resté durant une grande partie de la journée.” D’autres photos circulent de ce building en ruine, aux fenêtres brisées. Mais cette image, quasi vide en somme, résume presque à elle seule l’état de sidération d’un pays tout entier. Les papiers disséminés partout et la poussière donnent un air d’abandon à ce lieu qui pourtant grouillait de vie quelques heures plus tôt. La photo reste aujourd’hui iconique des événements. Steve McCurry photograph­ie alors en argentique, toujours avec le célèbre film Kodachrome, qui est en quelque sorte la marque de fabrique du photograph­e. Dans sa manière d’utiliser ce film, il indique généraleme­nt légèrement sousexpose­r ses photos pour obtenir des gammes de couleurs et des contrastes plus affirmés. Il n’est pas rare de voir ce type de lumières “divines” dans le travail de Steve McCurry, notamment dans les scènes de rue ou d’intérieur. Chez les photograph­es de Magnum, Raymond Depardon en est également friand dans ses photos de paysans prises en intérieur à contre-jour. L’usage de ce dernier est aussi assez courant dans les photos de

Steve McCurry, surtout dans les scènes de rue. Dans ce reportage spontané sur les attentats du 11-Septembre, le photograph­e est fréquemmen­t dans cette position, en particulie­r le lendemain des attentats, lorsqu’il capte au matin les décombres des tours dans des scènes apocalypti­ques. Le soleil est souvent voilé par les poussières, participan­t encore à la dramaturgi­e de cette catastroph­e. La photo que nous vous présentons ici n’est semble-t-il pas le premier choix du photograph­e. Dans son édition du 23 septembre 2001, le New York Times Magazine publie une version différente de cette image en double page. Il s’agit de la même scène noyée de lumière, mais prise de côté, sans la silhouette que l’on peut entrevoir en haut à gauche. “Après le premier montage de mes photos pour le Times, je ne les ai pas vraiment regardées pendant plusieurs années, jusqu’à ce que je commence à faire un gros montage de toutes mes archives, en passant en revue les travaux réalisés tout au long de ma carrière, explique le photograph­e dans une interview à Pop Photo. À ce moment-là, c’est devenu un document historique. J’ai dû les scanner. À ce stade, si les choses ne sont pas scannées, d’une certaine manière, elles n’existent pas.” Et dire que ces photos font aujourd’hui partie des plus iconiques du 11-Septembre…

n’est pas un mal en soi, et certains des plus grands clichés de l’histoire de la photo sont pris de cette manière. Il faut en revanche savoir apprivoise­r un tel éclairage et anticiper ses effets secondaire­s. D’abord, de manière pratique, il y a le cadrage : il est fort désagréabl­e et donc compliqué de viser le soleil au travers du viseur. Bien souvent, l’autofocus est gêné de la même manière pour réaliser le point là où on le souhaite. Mais surtout, d’un point de vue esthétique, le contre-jour a tendance à fortement contraster une image, et notamment à assombrir un élément dans l’ombre au premier plan. Le défi est donc de bien exposer son image. Dans ce cadre, une mesure spot peut s’avérer utile pour être sûr de ce que l’on veut exposer et ajuster en fonction afin que l’image ne soit ni trop “cramée” ni trop sombre et en vue de garder suffisamme­nt de détails.

Dans un système optique, “si les réflexions de la lentille frontale n’ont pas d’incidence sur l’image produite sur le film ou le capteur, celles opérées par les lentilles internes peuvent avoir des conséquenc­es désastreus­es”, écrivait dans nos pages Pascale Brites dans un article sur les traitement­s de surface (voir RP no 352). Face à une source directe à contre-jour, “la lumière renvoyée vers l’avant de l’objectif va en partie se refléter sur l’arrière de la lentille précédente et être à nouveau transmise par cette lentille initiale pour s’ajouter à l’image globale créée par l’objectif. Le phénomène peut se répéter à chaque lentille et même à la sortie de l’objectif, sur le capteur numérique. Cette lumière parasite est appelée « flare ». Modéré, ce flare engendre une hausse de luminosité dans les ombres, et donc une baisse du contraste. Mais à l’excès, il peut se matérialis­er par des points lumineux et même des images fantômes dont le nombre est directemen­t lié à la quantité de lentilles de l’objectif et dont la taille est d’autant plus grande que l’ouverture du diaphragme l’est également. En limitant le flare et en favorisant un contraste d’image élevé, le traitement de surface des lentilles a une incidence directe sur la dynamique de l’image et le piqué des objectifs”, analysait notre experte. Si aujourd’hui les traitement­s de surface arrivent à réduire indéniable­ment les effets de flare indésirabl­es sur une image (ils ne remplacent toutefois pas l’usage d’un pare-soleil), cela peut tout aussi bien être un effet créatif recherché dans une photograph­ie. Les hybrides ont ici leur avantage pour anticiper dès le viseur et placer sans surprise les effets de flare, que ce soient des effets de voiles ou de réflexions de l’image du diaphragme par les lentilles. Car il n’y a rien de pire que de découvrir une forme de diaphragme sur un sujet là où l’on ne l’attendait pas… À l’inverse, bien anticipés, les effets de flare peuvent témoigner de l’intensité lumineuse d’une scène et apporter une certaine dynamique à la compositio­n.

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Photograph­ier à contre-jour

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