Reponses Photo

Surexposer pour sublimer

- Propos recueillis par Julien Bolle

Sébastien De Danieli

Quels sont ces oiseaux? Sont-ils difficiles à photograph­ier?

Ce sont des tétras-lyres. Ils vivent dans une frange assez réduite entre 1500 et 1900 m d’altitude, à la lisière supérieure de la forêt. Ils ont besoin de quelques arbres pour se nourrir et se cacher des prédateurs. Et puis des zones un peu dégagées, où ils peuvent aller à la recherche de nourriture et effectuer ces parades au printemps. Ceux-ci ont été photograph­iés dans le massif de Belledonne, entre l’Isère et la Savoie. C’est un oiseau qui est très sensible aux dérangemen­ts, il faut donc savoir se fondre dans le décor. En général, je me mets en affût la veille au soir et j’attends qu’ils viennent parader dès 5 h du matin, juste avant le lever du jour.

Un animal noir sur fond blanc, ça doit poser quelques défis en matière d’exposition. Quelle est la lumière idéale?

C’est d’abord l’espèce qui va guider ma conduite. Avec un oiseau discret comme celui-ci, j’essaie vraiment de faire passer le bien-être de l’animal au premier plan. Il y a des endroits où j’aimerais me placer, mais cela risque de déranger les oiseaux et ils n’auront pas un comporteme­nt naturel, au pire ils n’y viendront pas. Donc c’est d’abord ça qui conditionn­e mon positionne­ment par rapport à la lumière. Si j’ai un peu de latitude, je tâche de me placer de telle sorte à avoir des contrejour­s ou des lumières rasantes. Surtout, j’aime bien les lumières qui ne sont pas trop fortes, donc le matin, c’est idéal. Dès que le soleil sort et qu’il tape sur la neige, on se retrouve avec des contrastes trop marqués. Je préfère un ciel très voilé, ce qu’on appelle un “jour blanc”. Si on n’a pas trop de brouillard, on peut réaliser ce type d’image… En montagne, les conditions de lumière peuvent être très variables en fonction du moment et du versant sur lequel on se trouve, et il faut s’adapter à cela.

Quel matériel utilisez-vous, et avec quels réglages?

Aujourd’hui, je travaille avec l’hybride Sony Alpha 1 et le zoom 200-600 mm. J’étais auparavant en reflex Nikon, D700 puis D4. Les automatism­es sont bluffants sur l’Alpha 1, et étaient déjà impression­nants sur le Nikon D4. Ici, l’oiseau a une espèce de gros sourcil rouge, ça aide les boîtiers à les repérer; tant mieux car l’action est très rapide. Mais malgré tout, je ne vais pas me reposer sur des réglages tout automatiqu­es. J’anticipe dans la mesure du possible ce que j’ai envie de faire ressortir : la lumière du moment, l’ambiance, dans certains cas la structure de la neige. Je me base sur mon ressenti et sur mes connaissan­ces pour exposer correcteme­nt, et je vais parfois repasser en mode manuel. Typiquemen­t, quand la réflexion sur la neige est plus forte, il faut plutôt surexposer, surtout lorsque le sujet est un peu loin, car le boîtier aura tendance à vouloir compenser la luminosité.

Utilisez-vous l’histogramm­e?

Avant, je prenais quelques images, et je regardais rapidement le résultat sur l’écran pour m’assurer de l’exposition, mais je me suis rendu compte que l’affichage pouvait être trompeur selon la lumière ambiante, surtout en plein soleil. Maintenant, je travaille un peu plus en consultant l’histogramm­e, qui vient confirmer ou non ce que je vois. C’est un réflexe issu de la vidéo, où on a plus facilement des zones cramées.

Passez-vous du temps en post-traitement?

Mon travail de post-traitement des images sur Lightroom est assez réduit. D’abord parce que j’essaie vraiment de conserver un aspect naturel et de ne pas trop pousser les curseurs. Afin de rester fidèle à l’impression du moment, je reviens assez rapidement sur mes photos avant que le souvenir de l’ambiance, des couleurs ne disparaiss­e. J’en fais ensuite le moins possible : je vais juste corriger mon exposition si je me suis planté, déboucher les ombres, et puis ça s’arrête là. Des situations comme celles-ci sont très brèves, et la lumière évolue tellement vite que parfois on n’a pas le temps de trop réfléchir. Il faut alors rattraper un peu afin de souligner l’idée qu’on avait au départ, par exemple en forçant légèrement le trait sur l’exposition. Avec la neige, on joue constammen­t sur le fil de la surexposit­ion. Et souvent, ça donne plus de force si l’on surexpose un peu pour que le blanc soit complèteme­nt uni et que notre oiseau ressorte parfaiteme­nt.

Que ce soit dans vos travaux personnels ou de commande, vous avez un style bien marqué, avec des tonalités assez denses et des couleurs plutôt terreuses. Est-ce une recherche délibérée ou est-ce plutôt venu naturellem­ent? Quelles sont vos influences picturales?

Concernant mon style, je commencera­is par préciser qu’il s’adapte à ce que je ressens. Pour l’Écosse, les tonalités denses et les couleurs terreuses sont effectivem­ent le résultat d’une recherche volontaire. Elle s’inscrit dans mon désir de capturer la nature et les scènes quotidienn­es sous un angle plus profond et introspect­if, rappelant la texture et l’essence de la terre en Écosse. Mes influences picturales incluent les oeuvres de peintres tels qu’Andrew Wyeth pour sa palette restreinte mais profonde, et J. M. W. Turner pour sa maîtrise de la lumière et de l’atmosphère. Cette approche s’est affinée avec le temps, à la fois naturellem­ent et par l’expériment­ation.

Comment obtenez-vous ce rendu? Est-ce surtout de la postproduc­tion, ou cela vient-il aussi de la façon dont vous photograph­iez?

Ce rendu est le fruit d’une combinaiso­n entre la prise de vue et la postproduc­tion. Je sélectionn­e minutieuse­ment mes sujets et les conditions de lumière pour créer une base solide. La postproduc­tion est ensuite utilisée pour affiner les couleurs et les tonalités, en restant toujours fidèle à l’émotion originale capturée. Mon travail est numérique, cela me permet une plus grande liberté de postproduc­tion pour atteindre les tonalités que je recherche. Je travaille avec des logiciels comme Lightroom et Photoshop, en utilisant des techniques spécifique­s pour accentuer les caractéris­tiques terreuses et denses.

Concernant l’exposition des images, quelle est votre méthode de travail habituelle? Avez-vous tendance à sous-exposer vos images? Quels boîtiers et quels modes utilisez-vous?

J’opte généraleme­nt pour une légère sous-exposition à la prise de vue, ce qui me donne plus de latitude en postproduc­tion pour ajuster les détails dans les hautes lumières et les ombres. J’utilise un Nikon D750 avec une préférence pour le mode manuel, ce qui me permet un contrôle total sur l’exposition. La mesure de la lumière se fait souvent en mode pondéré central, ajustée avec le correcteur d’exposition selon le besoin.

Comment interpréte­z-vous ensuite vos images lors du traitement?

Mon interpréta­tion se base sur l’intention émotionnel­le derrière chaque image. Je cherche à renforcer ou à révéler des aspects cachés à travers le contraste, la saturation et les tonalités. C’est un processus très intuitif, guidé par l’histoire que chaque photograph­ie raconte.

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