Récréer la lumière
Dans ses images-tableaux, repousse les limites de la photographie. Il donne à voir l’inconscient refoulé de l’Amérique profonde, dans des scènes du quotidien empruntes de mystère, et dont l’hyperréalisme est le fruit d’un travail acharné sur les détails e
Beaucoup a été écrit sur le sens de la composition et des détails dans votre travail, mais l’aspect lumière est généralement négligé. Or celle-ci joue souvent un rôle très important, voire le rôle principal, dans vos images. À quel stade commencez-vous à considérer la lumière lorsque vous planifiez une nouvelle photo, par rapport au lieu et à la composition?
La lumière est in fine la chose la plus importante. Elle fait partie du concept de création d’une image dès le début. Je photographie toujours au crépuscule, lorsque la lumière ambiante se trouve juste au bon niveau pour travailler en parfaite harmonie avec les lumières artificielles. Le but est de créer du sens à travers la lumière, quelque chose de psychologique et d’étrange dans une situation et un cadre par ailleurs ordinaires. La lumière est soigneusement prise en compte à chaque étape du processus. Je fais systématiquement mes repérages au crépuscule, je reviens sur les mêmes lieux pour pouvoir étudier la lumière, et d’une certaine manière, la voir m’instruit sur ce que sera l’image. L’éclairage de l’image joue alors un rôle important dans l’écriture des descriptions avec Juliane. Et bien sûr, je travaille en étroite collaboration avec mon directeur de la photographie de longue date, Richard Sands, pour comprendre comment utiliser les lumières cinématographiques, et avec son équipe pour lui donner vie sur le plateau et à travers l’objectif.
Il est bien connu que votre configuration de prise de vue ressemble à un plateau de cinéma, avec des équipes d’éclairage matérialisant tout ce que vous avez en tête. Néanmoins, vos images sont très cohérentes en matière de rendu lumineux. Alors que presque tout est possible, où se situe la limite entre réalisme et artificialité? Autrement dit, entre photographie et peinture?
Mon objectif est d’utiliser l’éclairage pour raconter une histoire de manière subtile, mais sans attirer l’attention sur ellemême. Je ne veux pas que les images paraissent théâtrales, je veux que le spectateur “tombe” dans leur monde. Créer une configuration d’éclairage aussi nuancée est en réalité plus complexe, et Rick et son équipe sont extraordinairement talentueux et compétents.
Dans certaines de vos images, l’éclairage est très complexe, avec de multiples sources de différentes natures, positions ou couleurs, généralement un mélange de jour et de nuit, de lampes intérieures et d’ambiance extérieure… Dans d’autres compositions, comme “The Barn”, extrait de la série Cathedral of the Pines, la lumière paraît beaucoup plus naturelle, même si elle est en réalité très étudiée. S’agit-il pour vous de deux manières de travailler très différentes ou d’une seule et même vision?
J’ai été très influencé par la peinture du
siècle pour Cathedral of the Pines. Notre philosophie pour l’éclairage de cette série était la suivante : pour les intérieurs, nous voulions que la source de lumière principale provienne toujours des fenêtres, afin de donner l’impression d’une lumière naturelle, même si elle était en réalité fortement orchestrée entre l’éclairage ambiant et artificiel. Le travail d’éclairage sur cette série était incroyablement précis et complexe. Il y avait aussi un thème, celui de la maison : nous avons utilisé des véritables espaces domestiques, mais également des variantes de maisons de fortune telles qu’un fort, une cabane à glace, une dépendance, un Combi Volkswagen, une camionnette, etc. Ces espaces ont offert des sources de lumière plus petites.
L’éclairage est partie prenante du récit, celui de la recherche d’un refuge contre la nature, d’un sentiment d’abri, de chez-soi.
Gregory Crewdson
Concernant votre technique, nous savons que vos images sont assemblées à partir de multiples fragments pris sur place. Avez-vous d’abord utilisé cette méthode pour obtenir ce que vous vouliez
en matière de composition (rassembler différents détails ou moments) ou plutôt en matière de lumière (équilibrer des zones avec des expositions différentes, comme un paysage vu à travers une fenêtre)?
Le compositing est avant tout une question de mise au point. À l’exception de la suppression occasionnelle de petits détails, nous ne modifions pas ce que nous avons créé sur le plateau, il s’agit simplement d’essayer de capturer ce que nous avons vu à travers l’objectif.
Concernant le rendu de la lumière, quel est l’équilibre dans votre travail entre la prise de vue et le post-traitement? Pour prendre un exemple, lorsque vous souhaitez générer un effet de brume comme sur “The Barn”, allez-vous créer de la poussière sur le plateau ou vous appuyer sur des effets numériques?
À de très rares exceptions près, tout ce que vous voyez sur la photo a été créé sur le plateau. Nous utilisons des machines à brouillard et créons d’autres effets tels que la pluie, le feu ou la fumée, et à l’extérieur, nous mouillons toujours le sol.