Reponses Photo

L’art de la rencontre

Rencontres de la jeune photograph­ie internatio­nale de Niort (79). Du 5 avril au 25 mai 2024. cacp-villaperoc­hon.com En juillet 1994, l’associatio­n Pour l’instant inaugurait la première édition des Rencontres de la jeune photograph­ie internatio­nale de Nior

- Ericka Weidmann

Patrick Delat,

En 1994, vous cofondiez l’associatio­n Pour l’instant, pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet? Quelles étaient les motivation­s et les ambitions de l’époque?

Si 1994 est la date officielle, pour revenir à la genèse il faut remonter cinq ans en arrière, au moment de la création de la manifestat­ion L’Europe d’art d’art, organisée par la ville de Niort dans le cadre de la célébratio­n du bicentenai­re de la Révolution. À cette occasion, des artistes des villes européenne­s jumelées à Niort ont été invités à se produire ou à produire des créations durant quatre jours. L’événement se terminait par un grand banquet républicai­n avec les artistes et la population, le 4 août, nuit de l’abolition des privilèges. À cette époque, j’étais responsabl­e d’un atelier photo, et les organisate­urs ont fait appel à moi car, parmi les artistes invités, il y avait des photograph­es, et on m’a demandé de les accompagne­r. Cette manifestat­ion a rencontré un véritable succès, et la municipali­té a décidé de la reconduire l’année suivante. Je me souviens m’être dit : “S’il doit se passer quelque chose à Niort en photo, c’est maintenant!” J’ai réuni autour de moi des gens qui participai­ent à l’atelier photo, des amoureux de l’image, etc. Et nous avons créé un collectif pour accompagne­r la manifestat­ion sur trois autres éditions. Malheureus­ement, pour des raisons budgétaire­s, les élus ont abandonné le projet, mais avec le collectif nous nous sommes dit qu’il fallait poursuivre ce concept, en le développan­t pour offrir aux artistes émergents un programme de résidences qui leur permettrai­t de consacrer du temps à leur recherche et à leur création. Notre lieu d’accueil pouvait recevoir huit jeunes photograph­es, toutes origines et pratiques artistique­s confondues. Ce moment devait être qualifié, avec l’apport d’une notoriété, c’est pour cela que nous avons fait appel à des conseiller­s artistique­s pour les accompagne­r. C’est ainsi que le projet est né et que l’associatio­n s’est créée en 1994, avec le soutien de la ville de Niort.

Quelle a été l’évolution de ces rencontres?

2011 est une année charnière, puisque c’est à ce moment-là que les portes institutio­nnelles de la Drac se sont entrouvert­es. Nous n’avions jamais demandé de subvention­s supplément­aires auprès de ces instances du ministère de la Culture. Mais un nouveau conseiller artistique, qui venait de Nancy, est arrivé en Poitou-Charentes et m’a contacté pour qu’on se rencontre, puisque la seule manifestat­ion d’art visuel qu’il connaissai­t dans la région, c’était la nôtre.

Ces nouvelles aides financière­s nous ont permis de nous interroger et de préciser davantage notre action en augmentant le temps de résidence, par exemple, en passant de quelques jours à dix jours. Nous avons eu plus de moyens pour produire les tirages sur place, constituer une équipe technique qui accompagna­it les jeunes et avoir accès à plusieurs lieux d’expos. Nous nous sommes développés, mais le concept, lui, est toujours le même, nous avons gardé les mêmes valeurs depuis trente ans, qui sont le partage, l’expérience, les rencontres et la diversité…

La singularit­é de cette résidence, c’est de pouvoir réunir tous ces photograph­es et le conseiller artistique sur un même lieu, de jour comme de nuit.

Il est important en effet de rappeler que ces résidences sont de vraies cartes blanches pour les jeunes photograph­es. On ne leur impose pas d’opérer sur le territoire niortais, notamment, donc chacun travaille la journée en fonction de son projet, et le soir, tout le monde se réunit autour d’un repas et c’est un vrai moment d’échange, de partage d’expérience. Cette rencontre-là était implicite. Et forcément, les discussion­s tard dans la nuit, autour d’un café ou d’un verre, existent depuis le début.

Je peux témoigner que ces moments ont toujours été aussi conviviaux, même si c’est chaque fois une aventure humaine nouvelle. Et c’est certaineme­nt cela qui m’a animé pendant trente ans.

En 2013, l’associatio­n investit la villa Pérochon, un lieu permanent qui accueille des exposition­s tout au long de l’année. Comment ce projet s’inscrit-il dans le prolongeme­nt de la manifestat­ion?

C’est un projet que nous avons eu dès 2010, car nous nous posions la question de la nécessité de nous ancrer dans un lieu spécifique. Nous étions nomades, nous passions d’un endroit à un autre, mais n’était-il pas temps d’avoir quelque chose de plus pérenne˜? Au départ, nous étions donc à la recherche de cet emplacemen­t, mais ce n’était pas facile, alors nous avons décidé de nous concentrer sur le projet pour savoir ce que nous souhaition­s réellement en faire. Dans le même temps, une nouvelle équipe municipale a été nommée et a souhaité développer une politique culturelle forte. Voilà plusieurs années, la villa Pérochon a été léguée à la ville de Niort, avec pour condition d’en faire un lieu culturel. L’adjoint et le maire de l’époque nous ont demandé si elle nous intéressai­t. En 2012, les travaux ont été lancés, j’ai été employé à mi-temps, alors que j’étais jusque-là bénévole, comme toute l’équipe, sauf le médiateur qui a été le premier poste de l’associatio­n en 2010. Et nous avons ouvert en 2013, tout cela s’est passé très vite˜!

Cristobal Ascencio – Ramon. Cintalapa, Mexique.

Cette année, les Rencontres de la jeune photograph­ie internatio­nale célèbrent leurs 30 ans. Vous avez souhaité une édition anniversai­re tournée vers l’avenir, pourquoi ce choix?

Je trouve que les regards portés vers le passé entretienn­ent l’entre-soi. Je préfère regarder devant moi. C’est vrai, nous aurions pu faire une édition rétrospect­ive (nous avons tout de même reçu près de deux cents photograph­es), mais ne vaut-il mieux pas se tourner vers l’avenir, et voir tout ce qui se passe en matière de photograph­ie aujourd’hui„? Un avenir qui me semble particuliè­rement riche, à la fois en ce qui concerne les technologi­es les plus avancées, mais aussi la pratique de tous ces jeunes photograph­es qui prennent soin de la planète et réfléchiss­ent à des procédés écologique­s, etc. Notre associatio­n a 30 ans, alors pourquoi ne pas se projeter trente ans dans le futur„? Nous avons donc bousculé nos habitudes en offrant une bourse à huit photograph­es qui vont travailler sur une thématique commune, “30 ans après„?”. Et au lieu de la résidence destinée à la création, laquelle s’opère dans la spontanéit­é, on laisse aux photograph­es le temps de réfléchir et de proposer une exposition inédite. Mais on ne déroge pas à cette règle de rencontre, puisqu’ils seront tous réunis en résidence pour l’accrochage de leur production.

On remarque autour de cette 30e édition qu’une grande attention est portée aux questions écologique­s…

Il est vrai que de nombreux sujets portent sur l’écologie, mais l’aspect social est lui aussi extrêmemen­t présent. Et d’ailleurs, j’ai pu constater durant ces trente dernières années que, si la technologi­e de la photograph­ie a beaucoup évolué, les propos des artistes photograph­es gardent une constante.

Alors évidemment, certaines tendances à l’écologie sont plus fortes que trente ans en arrière, mais les propos sociaux sont toujours très forts. C’est la manière de les exprimer avec l’outil photograph­ique qui est différent.

Vous avez annoncé votre départ à la retraite en juin : dans quel état d’esprit êtes-vous? Et quel bilan tirez-vous après trois décennies à vous investir pour la photograph­ie émergente?

Cet anniversai­re a été un vrai déclic pour moi, cela fait trente ans que je porte le projet, je pense que c’est le bon moment pour partir. La manifestat­ion et la villa Pérochon sont bien installées, le temps est venu pour moi de passer la main à des visions complément­aires, peut-être plus actuelles. Je suis très serein. Le bilan, c’est que j’ai sans doute la faiblesse d’être fier d’avoir réussi à monter ce projet et ce lieu. J’ai eu l’impression de voyager pendant trente ans, on pourrait dire que c’est un voyage immobile et que j’ai été enrichi d’aventures humaines. Si j’ai choisi de soutenir la photograph­ie, c’est vraiment parce que je trouve qu’il y a une grande humanité, probableme­nt plus que dans d’autres discipline­s, et ça me correspond assez bien, parce que je suis plutôt une personne de l’ombre, avec un rôle de passeur. Je me suis construit autour de cette notion de valeurs liées à l’éducation populaire, qui sont des valeurs de partage, de diversité, de rencontres et de ce que l’on pourrait appeler “l’apprentiss­age”. Le partage de savoir avec des conseiller­s artistique­s tels que Joan Fontcubert­a, Olivier Culmann ou encore Corinne Mercadier, pour ne citer qu’eux, est essentiel. Ce sont des gens qui ont su transmettr­e leur savoir sans notion de maître à élève.

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