Thierry Dubois, archéologue des émotions
FILANT AU VOLANT D’UNE FORD MODÈLE T SPEEDSTER DE 1927,
Thierry Dubois nous promène le long de la Seine en direction du Bois de Boulogne. L’histoire que conte alors le Seigneur de la N7, le Hohenzollern des routes de France, me parvient malgré le vent glacé de décembre qui vient s’écraser sur mon visage figé dans un rictus malaisé… Il est question des premières grandes courses transcontinentales américaines, reliant la côte ouest à la côte est, auxquelles aurait participé le type de tacot qui nous transporte à toute allure sur le bitume parisien. Une des pièces singulières d’une collection de voitures anciennes que nous aurions juré, eu égard au pedigree de notre pilote, tout entière vouée au culte des routes des Trente Glorieuses. Les préjugés ont l’adhérence de la gomme bibendum.
De retour chez lui, son bureau est une bibliothèque d’Alexandrie consacrée à la mémoire des routes de l’axe Nord-Sud, et plus puisque affinités. Dans le monde de Thierry Dubois, chaque objet, chaque lieu est situé dans un récit, un souvenir, un espace-temps qu’il contribue à forger et qui, en retour, lui confère sens et valeur. A l’abri dans des classeurs méthodiquement organisés par région, des photos d’anonymes glanées aux puces, dans les brocantes, offrent un point de vue unique sur les routes qui se dessinent en arrière-plan: la N85, la Route Napoléon, gorgée d’histoire; la N75 au Col de la Croix Haute, non loin du Vercors; l’horloge républicaine de
Tassin-la-Demi-Lune, érigée en 1907 au carrefour entre la N7 et la N89 en direction de Bordeaux. «Elle est caractéristique parce que les automobilistes qui faisaient Paris-Lyon avaient l’habitude de prendre l’heure à cet endroit-là.»
« Le terme “Route Bleue” est né sur une affiche pour la promotion d’un trajet en car Londres - Paris - Nice.
Aucune de ces routes n’a survécu à l’autoroute.»
Les anecdotes s’empilent comme les nombreux guides (Michelin, Continental, guide des Routiers, guide Azur) sur ses étagères… Au milieu, le Graal: un guide descriptif qui, sur 6 mètres de long, évoquant le rouleau de Jack Kerouac, reprend presque kilomètre par kilomètre l’itinéraire de la Route Bleue. «On la confond souvent avec la N7 puisqu’elle suit son tracé depuis Paris, sauf qu’à Roanne, elle part vers Saint-Etienne pour rejoindre ensuite Valence, sans passer par Lyon.»
Roaditude – La Route Bleue est-elle une construction pour attirer les touristes?
C’est la chambre de commerce de Saint-Etienne qui crée en 1933 une association «La Route Bleue» chargée de faire la promotion touristique de l’itinéraire Paris-Côte d’azur. Le problème, c’est que la majeure partie des gens passaient par la N6. Le but, c’était de les amener vers la N7 pour faire ParisNevers-Moulins-Roanne. Vu son succès, on a tenté de reproduire le même concept dans les Pyrénées, puis il y a eu une «Route d’Argent», vers Genève. Le terme «Route Bleue» est né sur une affiche pour la promotion d’un trajet en car LondresParis-Nice.Aucune de ces routes n’a survécu à l’autoroute.