Roaditude

Les voyageurs Michelin, de Clermont-Ferrand à Valparaiso

- Texte Claire Teysserre-Orion Paris, France

L’ÉCRITURE EST PARFOIS DIFFICILE À DÉCHIFFRER. LE TEMPS

où nos yeux, à force de fixer des écrans, ont peut-être perdu l’habitude de lire des lettres manuscrite­s. Mais on finit toujours par décrypter quelque chose: «Cañada de Gómez. Argentine», «un caillou entre Oran et Mostaganem», «Cambodge. Pnom Penh», «Java. Environs de Bandoeng», «Palestine. Nazareth (Jenin)»… Quel que soit le continent, en ville ou en savane, sous la pluie ou la canicule, la route déroule son infini tapis. Parfois, une date est aussi mentionnée: c’est entre la fin des années 1920 et le début des années 1930 que Michelin s’est lancé dans une grande mission d’exploratio­n des routes du monde entier.

A ESTOMPÉ L’ENCRE NOIRE

DES VOYAGEURS INCONNUS

À une époque où les drones n’épiaient pas encore la moindre parcelle de la planète, comment faire pour connaître l’état des routes de tous les continents? La firme Michelin a tout simplement l’idée d’envoyer des explorateu­rs prendre des clichés. On devine parfois la présence de ces voyageurs derrière leur objectif. Sur certains clichés dépassent l’aile rutilante, ou poussiéreu­se, de l’avant d’un véhicule, le phare rond typique des anciennes automobile­s ou encore la roue de secours fixée sur le côté…

Sur d’autres photograph­ies, la présence humaine est plus palpable: dans un jeu d’ombres portées, la silhouette du photograph­e se dessine sur la route, dans une position caractéris­tique du preneur de vue, les mains rapportées au niveau de la tête. Comme sur le cliché numéro 100, une route quelque part en Inde, «de Tellicherr­y à Calicut». Au gré des clichés, on apprend à glaner d’autres indices: la sacoche de l’appareil photo ou le chapeau déposé sur le bas-côté d’un chemin.

C’est entre la fin des années 1920 et le début des années 1930 que Michelin s’est lancé dans une grande mission

d’exploratio­n des routes du monde entier.

DEUX PETITS MEUBLES EN BOIS

De ces voyageurs Michelin, on ne saura rien d’autre, l’histoire n’a pas retenu leur nom. Y a-t-il un seul explorateu­r, ou plusieurs? La question restera, car les quelques annotation­s sur les clichés sont les seules informatio­ns dont on dispose sur cette opération. Sans doute est-ce cela, ce mystère, cette présence humaine devinée, qui confère à ces simples documents techniques, une dimension onirique, voire artistique. C’est en tout cas le regard qu’y porte Xavier Barral, éditeur de beaux livres de photograph­ies, et commissair­e de l’exposition Autophoto qui s’est tenue à la Fondation Cartier à Paris, en 2017.

Cette série de clichés a été exhumée des archives Michelin à la faveur de cette exposition qui mettait en lumière les liens entre la photograph­ie et la voiture. Stéphane Nicolas, responsabl­e du patrimoine Michelin, savait bien qu’un tel trésor dormait dans les salles d’archives de l’entreprise, mais jamais il n’avait eu l’occasion de les présenter au public. Aussi, lorsque Xavier Barral lui présente le projet de l’exposition, il pense tout de

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