Roaditude

Pourvu qu’elle soit douce

- Texte Joseph Incardona Genève, Suisse Illustrati­ons Alexis Jang Berlin, Allemagne

Je me suis relevé, la salopette maculée de cambouis, les cheveux moites et crasseux. J’ai pris un torchon pour éponger mon front et essuyer mes mains. Au-dessus du short, il y avait quinze centimètre­s de ventre plat à la peau dorée. Le renflement des tétons pointait sous le T-shirt jaune s’arrêtant au nombril. Elle avait réduit à l’essentiel le contact du textile sur sa peau. Un attisement de ce qui était à peine caché. Juste ce qu’il fallait pour vous rendre fou. Cheveux châtains taillés à la garçonne, menton fin, lèvres épaisses. Un visage où il ne manquait plus que des yeux verts quand elle a ôté ses lunettes de soleil. Elle était en tong. C’était l’été. La canicule. Un mois d’août où on attrapait les mouches dans son poing tellement elles volaient mollement.

Je lui ai demandé ce qu’elle voulait d’un ton bourru. Fallait bien que je tienne cette beauté à distance. Je pesais 95 kilos pour un mètre quatre-vingt. J’avais des bras d’haltérophi­les à cause des pneus et des pièces de rechange que je transbahut­ais entre la casse automobile et mon atelier de mécanique. Une bedaine de buveur de bière. J’avais le nez cassé, des rides de cinquanten­aire sur mon front. Elle avait la moitié de mon

Il a ouvert le capot avec son torchon, prenant soin de ne pas se brûler la main. Il m’a demandé de m’installer au volant et d’appuyer lentement sur l’accélérate­ur. Le gargouilli­s du moteur ressemblai­t à de la confiture mijotant sur le feu. Il n’y avait pas que le vilebrequi­n qui posait problème. Après une journée entière à tracer la route, le carbu s’engorgeait, encrassant les bougies. Les gouttes d’huile s’écrasaient au ralenti sur le sol, s’étalaient comme des tâches maculaires sur le béton poreux. Cette bagnole, c’était l’expression d’une forme d’amour. Plus personne n’en voulait de cet amour-là. Elle accompagna­it ma légende. Les hommes, faut les prendre avec panache. Je leur dois bien ça. Ils voient mon corps, mais c’est autre chose qu’ils désirent. Ma jeunesse, peut-être l’éternité.

J’ai pris les clés qu’elle me tendait. Sa main a frôlé ma paume calleuse, un battement d’ailes de papillon. Elle m’a demandé s’il y avait un hôtel dans le coin, et bien sûr, il n’y en avait pas. Le savait-elle ? Sur le moment je n’y ai pas pensé. La journée touchait à sa fin, j’étais fatigué

La maisonnett­e en bois était nichée au creux des dunes. Une sorte de grand cabanon aménagé. Depuis la galerie extérieure, on apercevait

Je n’avais plus souri depuis des semaines.

Newspapers in French

Newspapers from France