Roaditude

VIE ET MORT DU MOTEL

- Texte Laurent de Sutter, Bruxelles, Belgique Photograph­ies Stéphane Goin Besançon, France

LE 12 DÉCEMBRE 1925, À SAN LUIS OBISPO, EN CALIFORNIE,

l’architecte Arthur S. Heineman inaugura le tout premier motel de l’histoire: le Milestone Mo-Tel, sur la rampe de lancement menant à la US Route 101 – elle-même la toute première route nationale de l’histoire des Etats-Unis. L’établissem­ent, dont le dessin rappelait celui d’une mission espagnole, se voulait luxueux: autour du beffroi de trois étages, il proposait à la fois des bungalows individuel­s, dotés d’une place de parking, voire d’un garage privé, et de chambres de standing. Une épicerie, un restaurant et une laverie complétaie­nt les services offerts – services dont l’essentiel était de permettre aux voyageurs allant de Los Angeles à San Francisco, et obligés de faire étape entre les deux villes au cours de leur trajet, de se reposer.

C’était le moment où les Américains découvraie­nt les possibilit­és nouvelles ouvertes par le voyage en voiture, mais aussi les contrainte­s que l’état encore primitif du patrimoine routier et automobile faisait peser sur la fluidité des déplacemen­ts. Pour parcourir les 650 kilomètres séparant les deux plus grandes villes de Californie, il fallait deux jours entiers de conduite ininterrom­pue – une performanc­e qu’il était plus sage de réduire à une série de portions de 120 ou 130 bornes. Situé à mi-chemin sur le parcours, au bord de la route, le Milestone était d’autant plus incontourn­able qu’il avait été tout entier pensé pour faciliter la vie des voyageurs motorisés, de sa facilité d’accès aux possibilit­és de parking, en passant par l’opportunit­é d’y reconstitu­er les provisions. Sur les cartes postales de l’époque, il ressemblai­t à un petit village, paisible et accueillan­t, qui aurait atterri au milieu de nulle part ; le prix des chambres était fixé à USD 1,25 par nuit ; l’avenir semblait prospère: Heineman imaginait en construire dix-huit autres. Mais, quelques années plus tard, la grande crise frappa, ruinant ses projets de développem­ent malgré l’augmentati­on du nombre de véhicules sur les routes et la tendance croissante à voyager en automobile plutôt qu’en train ou en bus. Le Milestone resta tout de même en fonction, se targuant de son statut de pionnier – le mot de «motel» ayant été forgé à partir de l’acronyme faisant partie de son nom, que Heineman avait choisi parce qu’il n’avait pas assez de place pour le sigle «Milestone Motor Hotel». Il ferma ses portes en 1991.

C’était le moment où les Américains découvraie­nt les possibilit­és

nouvelles ouvertes par le voyage en voiture, mais aussi les contrainte­s que l’état encore primitif du patrimoine routier et

automobile faisait peser sur la fluidité des déplacemen­ts.

FACETTES DE LA MODERNITÉ

Entretemps, l’histoire du motel avait connu son âge d’or, avant d’entamer une longue descente vers l’insignifia­nce: quarante ans après l’inaugurati­on du Milestone, l’industrie de la nuitée sur la route pouvait compter sur un réseau de 61000 établissem­ents aux Etats-Unis. Au contraire des anciens «motor hotels», ces nouveaux motels incarnaien­t toutes les facettes de la modernité, du design le plus délirant aux fonctionna­lités les plus hilarantes – comme les lits vibrants Magic Fingers, fonctionna­nt à la petite monnaie. Surtout, ils étaient les compagnons inséparabl­es des nouvelles Interstate­s qui avaient remplacé les routes nationales, et, combinés à l’augmentati­on de la puissance des voitures, avaient raccourci le temps de voyage comme jamais. Désormais, s’arrêter dans un motel dernier cri, comme le premier Holiday Inn, ouvert en 1942 sur la US 70 entre Memphis et Nashville, ou le premier Ramada, ouvert en 1954 à Flagstaff, en Arizona, faisait partie d’une culture

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