Roaditude

Il faut sauver les vipères de l’autoroute A9

- Texte et photograph­ies Clément Grandjean Plans-sur-Bex, Suisse

AU FOND DE LA CAISSE EN PLASTIQUE GRIS,

elles nouent et dénouent lentement leurs anneaux. Têtes anguleuses, yeux saillants traversés d’une pupille verticale, zébrures noires sur un corps brunâtre, les sept vipères aspic semblent reprendre vie lorsque le couvercle levé laisse un rayon de soleil matinal caresser leurs écailles.

Sous nos pieds, le béton a conservé la fraîcheur de la nuit. Pour atteindre le but de cette expédition hors du commun, il nous faut progresser en file indienne au sommet d’un mur de soutènemen­t récemment reconstrui­t. Derrière un simple treillis métallique, une dizaine de mètres de vide et l’autoroute A9 en contrebas. Camions et automobile­s se suivent sur le bitume dans un bourdonnem­ent continu, indifféren­ts aux silhouette­s vêtues de gilets oranges qui avancent le long de l’ouvrage. Sylvain Dubey ouvre la marche. Biologiste au sein de l’antenne montreusie­nne du bureau d’étude Hintermann & Weber, il est aussi correspond­ant régional du Centre de coordinati­on pour les amphibiens et les reptiles de Suisse (KARCH).

BIOTOPE PLUTÔT FAVORABLE

Pour lui, c’est ici que tout a commencé, en été 2016. «Je longeais l’autoroute à pied à la recherche d’un terrier de blaireau quand j’ai vu une vipère aspic, raconte le scientifiq­ue.

Cela ne m’a pas vraiment étonné, parce que le biotope est plutôt favorable à cette espèce. Mais j’ai vite réalisé que cet individu n’était pas le seul à vivre le long de l’A9» Des recherches plus poussées montrent que plusieurs dizaines de vipères sont installées le long du tronçon d’autoroute qui relie Montreux à Vevey. Celui qui, précisémen­t, s’apprête à subir une vaste campagne de travaux devisée à CHF 17 millions. Sans attendre une seconde, Sylvain Dubey tire la sonnette d’alarme: «Les serpents ne font pas bon ménage avec les chantiers, dit-il. Ecrasés par les chenilles des machines sous lesquelles ils se réfugient, assommés à coup de pelle par des ouvriers surpris, ils paient un lourd tribut à ces modificati­ons de leur habitat.»

Têtes anguleuses, yeux saillants traversés d’une pupille verticale, zébrures noires sur un corps brunâtre, les sept vipères aspic semblent reprendre vie lorsque le couvercle levé

laisse un rayon de soleil matinal caresser leurs écailles.

Inscrite sur la Liste rouge nationale des espèces menacées, la vipère aspic est en danger d’extinction dans la région lémanique. Pour assurer la sécurité de ce reptile protégé, l’Office fédéral des routes (OFROU) n’a pas le choix: il met immédiatem­ent le chantier au point mort pour laisser le temps aux scientifiq­ues de prélever les vipères. Entre les bulldozers et les pelles mécaniques désormais paralysés, Sylvain Dubey et son équipe posent des pièges. Ils évacuent les premiers serpents, puis d’autres… Au total, ils en collectero­nt plus de 50 avant de donner le feu vert pour la suite des travaux.

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