Roaditude

Digestion

- Laurent Pittet Nyon, Suisse

Montre-moi ton repas, je te dirai quel est ton road trip... À la faveur de ce nouveau numéro de Roaditude, qui se propose d’explorer la relation qu’entretient la route avec l’alimentati­on, je m’interroge sur ma propre façon de voyager, et prends la mesure de la place centrale qu’occupe dans mes périples routiers le fait de boire et de manger, le fait d’y ménager une pause destinée principale­ment à se nourrir.

Bien sûr, il faut prendre des forces. Ce stade biologique est important, a fortiori si l’on voyage à pied ou en vélo ( ce qui n’est pas souvent mon cas, je le confesse, même si je viens de faire l’acquisitio­n d’une voyageuse ). Mais attention, se sustenter ne doit pas nuire à l’expérience du voyage elle-même. Combien de belles lumières matinales ont été manquées à cause d’un petit-déjeuner appétissan­t qui s’éternise ? Quels risques n’a-t-on pas pris en raison d’un déjeuner trop lourd, voire trop arrosé, qui nous traîne jusqu’au milieu de l’après-midi ? Chez moi, c’est clair, la place du repas est après le voyage.

PLAISIRS DE LA TABLE

Serait-ce un prolongeme­nt ? Oui, dans la mesure où le repas, tout comme l’escapade qui ravit nos yeux et nous enrichit de rencontres inopinées, doit être un moment de plaisir. La fabuleuse saga du Guide Michelin que nous raconte, dans ce numéro, Claire Teysserre-Orion, est bien la preuve que le routard aime les plaisirs de la table, et il est étonnant de constater que les voyageurs rencontrés par Cornelia Hummel sur les aires d’autoroute ne se résolvent pas à la dimension purement alimentair­e de leur pause. Je suis pareil, et le plus beau des itinéraire­s ne pourra me réjouir s’il n’est pas agrémenté de la perspectiv­e de quelques haltes confortabl­es et alléchante­s.

Dans le registre du plaisir et de son prolongeme­nt, surtout si l’on a le goût de l’itinérance solitaire ( ce qui est mon cas ), il faut une mention spéciale pour le partage, dont le repas est souvent le moment privilégié. Partage direct avec les gens qui vous accueillen­t, ou avec vos voisins de table. Partage médiatisé, aussi, via les réseaux, auxquels on échappe difficilem­ent ( il faut bien le reconnaîtr­e, et même s’en réjouir ! ), et dont la gestion se fait tout à fait agréableme­nt entre la poire et le fromage, mais aussi autour d’un verre à l’apéro.

DISSERTER, VOYAGER

Pour que le partage puisse bien se faire, le repas doit jouer son rôle de conclusion. Souvenez-vous de vos cours de dissertati­on à l’école : la conclusion, c’est essentiell­ement une synthèse. Le dîner est l’occasion de passer en revue les moments forts de la journée, de les évaluer au regard de l’envie et de l’inspiratio­n qui nous ont poussés sur la route ( disserter, c’est répondre à une question ; voyager, c’est un peu la même chose ). À noter que la prise de notes et la pratique plus ou moins assidue de la photograph­ie facilitent ce processus.

Une transforma­tion s’opère enfin, et c’est pour cela que parler de digestion n’est pas ici qu’un jeu intellectu­el. Pour certains, l’expérience de la route est une question de sensation (je me souviens d’un motard qui comparait sa pratique insatiable de la conduite aux descentes de ski qu’il faisait en hiver ). Pour moi, elle est une nourriture plutôt spirituell­e dont le temps du repas facilite le traitement et la mutation en quelque chose de diffus que les termes de bien-être, de sérénité, de confiance permettent de cerner, sans l’exprimer pleinement.

Bonne lecture, et merci de prendre la route avec nous !

– Laurent Pittet, Rédacteur en chef

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