Le plaisir de voyager e-mobile
L’autonomie est un thème central dans le débat sur les voitures électriques. Même si l’automobiliste moyen n’effectue que quelque 40 kilomètres par jour, il attend de sa voiture une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres. Avec ses avantages et ses désavantages, l’électromobilité nous incite à revisiter notre mode de consommation du voyage. Et si en multipliant les étapes, nous reconsidérerions le plaisir de prendre la route, avec pour finalité non pas la destination,
mais le voyage lui-même ?
POUR COMMENCER, IL Y A CE SENTIMENT ÉTRANGE D’APPUYER SUR LE BOUTON START ET DE NE PAS ENTENDRE LE MOTEUR SE METTRE EN ROUTE. BOÎTE AUTOMATIQUE OBLIGE, UNE LÉGÈRE PRESSION SUR LE « D », LE PIED DROIT LÂCHE LE FREIN ET LA VOITURE AVANCE. PUIS VIENNENT LES PREMIERS MÈTRES D’ASPHALTE AVALÉS EN SILENCE, C’EST LE DOUBLE EFFET OUATÉ OU, PLUTÔT, KILOWATTÉ…
Gagné par l’enthousiasme, le coeur s’emballe, le pied est un peu lourd et l’accélération fulgurante. Il faut dès lors doser la pression sur la pédale de droite pour ne pas franchir les limites de vitesse « à l’insu de son plein gré ». Et quand survient le premier carrefour, c’est le coup de frein « moteur » : le système de récupération d’énergie provoque une décélération forte, le buste et la tête sont légèrement projetés vers l’avant. La surprise passée, le conducteur finit par adapter son comportement. Une fois accoutumé, on finirait presque par ne plus utiliser les freins en anticipant bien le trafic et la morphologie de la route. L’habitude vient en roulant.
LE PLEIN D’ÉNERGIE
Rouler avec une voiture électrique, c’est découvrir de nouvelles sensations, mais c’est aussi modifier sa façon d’appréhender ses déplacements. Jusqu’où puis-je rouler sans tomber en panne ? À quelle fréquence dois-je la recharger ? Autant de questions qui sont régulièrement posées aux vendeurs de voitures ou aux spécialistes de l’électromobilité lorsqu’un futur acheteur hésite à passer à l’acte. Les voitures électriques jouissent d’un succès croissant. En Suisse, une voiture neuve sur dix vendues durant le premier trimestre 2019 possédait une propulsion alternative (hybride ou pure électrique). Le nombre de véhicules électriques neufs vendus a même progressé de 130 %. Reste que de nombreux automobilistes hésitent à franchir ce pas en raison de l’autonomie réduite et d’un réseau de stations de recharge encore incomplet. Jadis très restreinte et essentiellement cantonnée aux citadines, la gamme de modèles sur le marché est de plus en plus large et étoffée (berlines compactes, familiales, SUV, etc.). La capacité des batteries s’est aussi bien développée et le rayon d’action amélioré. Plusieurs constructeurs annoncent une autonomie au-delà de 400 kilomètres, mais les tests en condition réelle montrent un écart souvent important – à l’instar des motorisations classiques.
AUTONOMIE SUJETTE À CONDITION
Mandaté par l’association Euroconsumers et l’émission
À Bon Entendeur de la Radio Télévision Suisse, le TCS a réalisé un test d’autonomie avec trois voitures électriques fin 2017. Ces essais ont montré que les modèles électriques actuels offrent une autonomie acceptable, mais que leur consommation dépasse nettement les valeurs données par les constructeurs. Comme pour les moteurs à combustion, l’autonomie est déterminée sur un banc d’essai, donc dans des conditions de laboratoire. L’objectif du test TCS était de déterminer l’autonomie et la consommation dans des conditions pratiques réalistes.
Les voitures d’essai ont été chargées comme pour un voyage de vacances: en plus du conducteur, elles emportaient le poids d’un passager (75 kg), de deux enfants (deux fois
30 kg) et de bagages (20 kg). La climatisation et le chauffage ont été réglés à la température confortable de 22 °C pour une température extérieure moyenne de 10° C. Principal résultat: les modèles examinés dans les conditions de ce test n’offrent qu’environ 58 % de l’autonomie annoncée par les constructeurs pour une charge de batterie.
Deux ans plus tard, en 2019, le TCS a fait deux voyages d’essai avec des modèles plus récents qui prouvent qu’il est possible de faire de longs déplacements à l’étranger. Ce test a révélé qu’il est parfaitement possible de partir en vacances depuis la Suisse jusqu’en Toscane ou sur la Côte d’Azur avec une voiture électrique. Il est toutefois primordial de bien préparer les trajets (voir encadré). On peut ainsi planifier de manière optimale des arrêts de recharge de 35 à 50 minutes en les combinant avec des achats ou la visite de curiosités. Les arrêts de recharge peuvent être avantageusement organisés selon la règle des 20 / 80. On s’arrête donc au plus tard lorsque l’autonomie est tombée à 20%. Cette réserve permet éventuellement d’atteindre la borne de recharge rapide suivante si la première ne fonctionne pas. Le processus de recharge de 20 à 80 % prenant environ le même temps que de 80 à 100 %, on gagne du temps en ne rechargeant la batterie qu’à 80 %. Les utilisateurs profitent actuellement de la relative rareté des voitures électriques, de sorte que les bornes de recharge sont le plus souvent libres. Cela pourrait toutefois devenir un défi à relever à l’avenir.
{… LES ARRÊTS DE RECHARGE PEUVENT ÊTRE
AVANTAGEUSEMENT ORGANISÉS… }
CHANGEMENT DE PARADIGME
Les inquiétudes concernant un réseau de recharge insuffisant étaient infondées. Il existe bel et bien une infrastructure de recharge en France et en Italie. Il en va de même en Suisse et dans la majeure partie des pays limitrophes. C’est là qu’intervient l’aspect psychologique d’être contraint de planifier son itinéraire en fonction des étapes de chargement. Pourquoi ne pas voir dans cette contrainte apparente, une véritable opportunité de « consommer » le voyage autrement ? D’aucuns pensent que la finalité d’un voyage réside dans sa destination finale. C’est ignorer l’adage selon lequel le plaisir de voyager est dans le voyage lui-même. Dessiner un parcours sur une carte, prévoir des haltes pour faire le plein d’énergie, mais aussi des yeux, de la tête ou du ventre, c’est s’offrir une nouvelle vision de ce que peut être un véritable road trip, propre à façonner des souvenirs impérissables et qui peuvent aussi rendre le voyage retour tout aussi agréable.